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l’heure actuelle, faire un pas, lever le doigt pour s’occuper des choses de la paroisse, de la ville, de l’école, sans se heurter à un fonctionnaire étranger, choisi par le gouvernement et sans l’ombre d’autorité représentative ? » N’est-ce pas encore lui qui avait dit : « Il est temps d’en finir avec cette absurdité irritante qui s’appelle le château de Dublin ? »

Oui, il avait dit tout cela et le pensait encore. On lui offrait le choix entre l’Irlande entièrement livrée à elle-même et l’Irlande conduite au bâton. Il repoussait ces deux systèmes. La force, il la détestait : I hate coercion. Que proposait-il ? D’accorder à la patrie de Grattan non le home-ride de Parnell, mais le home-rule d’Isaac Butt ; de lui assurer une large part de libertés locales qui mettraient l’Irlande hors de la portée des tracasseries britanniques et l’Ulster à l’abri de la tyrannie irlandaise ; de donner à ces deux moitiés inégales de l’île sœur des parlemens provinciaux, au-dessus desquels s’élèverait, dans son majestueux isolement et dans sa souveraineté indiscutable, le parlement impérial de Westminster, à peu près comme le parlement central d’Ottawa s’élève au-dessus des assemblées particulières et subordonnées qui forment la fédération du Dominion.

Cette suggestion ne fut pas discutée, ni même sérieusement écoutée. L’été se passa en discussions presque ridicules entre M. Gladstone et les libéraux dissidens. La premier ministre fit des concessions partielles qui rendaient sa loi encore plus boiteuse et illogique. Il proposa de soumettre l’Irlande à la douane et à l’excise anglaises, en sorte qu’elle devrait obéir à des lois sans les avoir votées, payer des impôts qu’elle n’aurait point consentis. C’était la violation du principe primordial de la constitution anglaise, et c’est d’une violation analogue, — le souvenir était de fâcheux augure, — qu’était sortie l’indépendance des États-Unis d’Amérique. Pour donner une demi-satisfaction à ses critiques, M. Gladstone imaginait des députés irlandais qui paraissaient et disparaissaient à Westminster suivant les questions en jeu, entrant et sortant comme les jeunes filles qu’on envoie chercher une broderie oubliée sur un banc du jardin lorsqu’on se prépare à raconter une histoire scabreuse. C’était là ce que M. Thiers a appelé des chinoiseries. Les énoncer, c’est les condamner sans appel.

On proposa plusieurs transactions : toutes lurent acceptées de M. Chamberlain et rejetées par M. Gladstone. On sait ce qui s’ensuivit. La loi fut repoussée et les conservateurs rentrèrent au pouvoir, appuyés sur le nouveau parti unioniste, formé des amis de lord Hartington et des amis de M. Chamberlain.

Le pays, par les élections de juin-juillet 1886, s’était prononcé