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les magistratures locales ne conduisent pas à Westminster, mais elles en éloignent. En réalité, le parlement et les conseils municipaux se recrutent dans des classes différentes, le parlement parmi les cadets de famille noble, les grands propriétaires ruraux, les membres du barreau ou de l’église établie, les professeurs des universités, les industriels de premier ordre, les représentans de la banque et du haut négoce ; les assemblées municipales parmi les marchands de biens, les maîtres d’école, les négocians au détail et les médecins. Les conseils généraux (county-councils), qui datent d’un an à peine et qui sont, pour ainsi dire, la création de M. Chamberlain, amèneront la formation d’un personnel mixte. Les politiciens de Westminster et les politiciens locaux s’y croiseront, si je puis dire, et produiront, dans tout le corps social, une circulation plus active et plus libre de la vie politique. Mais, il y a quinze ans, rien n’était venu combler l’abîme entre les deux classes que j’ai indiquées. Les mairies de province étaient des impasses ; elles n’avaient d’autre utilité que de procurer, de temps à autre, à un vieil épicier le plaisir de porter la santé de la reine dans un banquet et d’être appelé Your Worship par ses cliens.

M. Chamberlain, en se présentant au parlement, tentait donc une sorte de révolution non contre les lois, mais contre les mœurs. Tout d’abord, il ne réussit pas : il semble que ce soit la destinée de cet homme d’état de commencer toujours par l’échec et de finir par le succès. A Sheffield, où il se porta en 1874, il avait pour concurrent un vieux comique parlementaire appelé Rœbuck. Tory radical à une époque où ce n’était pas la mode, M. Rœbuck était toujours seul de son opinion et eût immédiatement cessé d’en être si quelqu’un s’était avisé de la partager. Bonhomme, mais caustique, il avait effarouché de ses audaces inoffensives deux générations de députés. Bien qu’un peu momifié en 187â, les électeurs de Sheffield y tenaient encore et ne voulurent pas du grand homme que leur prêtait Birmingham. Mais, en 1876, une vacance s’étant produite dans sa ville même, M. Chamberlain fut envoyé à Westminster par ses compatriotes d’adoption. Le parlement où il entrait est ce parlement de Disraeli que j’ai décrit l’an dernier à propos de lord Randolph Churchill. Car le petit-fils de Marlborough faisait ses débuts dans la vie parlementaire en même temps que le manufacturier de Birmingham, seulement l’un avait vingt-six ans, l’autre quarante.

A Westminster, M. Chamberlain commença par se taire. D’abord ce grand parlement, où ont retenti des voix si éloquentes, où se discutent de si vastes intérêts, impose à un nouveau-venu. Là-bas, on était tout, ici, rien ; du moins, rien qu’une monade