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des améliorations, des agrandissemens successifs, par l’absorption de maisons rivales ou plus petites, l’usine devint la plus considérable, en ce genre, de la région. On n’attend pas de moi que je fasse l’histoire de la maison Nettlefold et Chamberlain, et l’on se contentera de savoir qu’en 1874 Joseph Chamberlain se retirait des affaires, ayant passé, par sa propre industrie, de l’aisance où il était né à l’opulence où nous le voyons.

C’est à vingt-trois ans qu’il essaya ses talens oratoires dans la société de discussion d’Edgbaston. Là aussi les commencemens lurent difficiles. A part quelques cas de nervousness, tous les Anglais parlent facilement et mal. Pour eux, parler n’est pas un don, encore moins un art : c’est une fonction de la vie publique, aussi nécessaire à la société que la respiration ou la nutrition au corps humain. S’ils se faisaient de l’éloquence l’idée que nous en avons, ils n’ouvriraient jamais la bouche.

J’imagine que M. Chamberlain ne plaça point d’abord très haut son idéal oratoire. Mettre ses idées dans le meilleur jour possible, remuer parfois certains sentimens de l’âme chez ses auditeurs, égayer, çà et là, sa discussion d’une anecdote ou la fleurir d’une citation poétique, il n’en cherchait pas plus, on ne lui en demandait pas davantage. Peu à peu il apprit à penser à la tribune, à trouver à la fois les idées, leur ordre, leur expression, à concevoir une réplique en écoutant les argumens de l’adversaire. De sèche et d’hésitante qu’elle était d’abord, sa parole devint abondante, nourrie, véhémente, mais elle garda une sorte de rudesse populaire ou plutôt un arrière-goût de cette bourgeoisie non-conformiste qui regarde sévèrement les grâces et les élégances païennes d’Oxford et de Cambridge. « Je ne suis pas né, a-t-il dit un jour, je n’ai pas été élevé dans la phraséologie des écoles. » C’est dans son âge mûr qu’il a appris à sourire, et qu’il a découvert en lui une puissante faculté de moquerie oratoire.

Son credo politique était celui des radicaux avancés et se composait de deux articles principaux, le suffrage universel qui, avant la réforme électorale de 1867, paraissait aux uns une utopie dangereuse, aux autres un progrès lointain, et l’éducation obligatoire qui commençait à passionner les esprits et sur laquelle les deux grandes sections du parti libéral différaient d’avis. Les whigs acceptaient l’obligation sans la gratuité. Lorsqu’ils furent au pouvoir avec M. Gladstone, de 1869 à 1874, ils firent voter une loi sur l’instruction primaire, dont feu M. Forster était le principal auteur et qui était un bizarre compromis entre les erreurs de la veille et les vérités du lendemain. Elle posait le principe de l’obligation sans le rendre universel ni définitif. Elle créait dans chaque centre de