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retentissant qui fut fait, il y a cinq années[1], d’une tactique toute spéciale d’exploration et de sûreté, prouve à quels dangers peut être parfois exposée cette unité de doctrine que nous avons achetée au prix de tant d’efforts ! Les officiers de l’arme qui suivirent ces manœuvres parlent encore avec amertume de la contrainte qu’ils subirent, alors qu’obligés de se plier sans réserve aux barèmes d’entraînement, aux graphiques d’exploration, à tout cet échafaudage scientifique qui leur était imposé, ils se voyaient réduits à l’état de rouages inconsciens d’un mécanisme strictement réglé. Tout esprit d’entreprise, toute velléité d’initiative, tout ce qu’il y a de généreux et de vibrant dans le cœur des cavaliers avait été étouffé sous cette codification étroite. Malgré la rigueur qu’avait mise à l’appliquer celui-là même qui en avait été l’inventeur, le système échoua. Mais jamais n’avait éclaté d’une manière plus frappante la nécessité de mettre la cavalerie sous la protection d’institutions fixes, de rompre avec une organisation qui laissait la porte ouverte à de telles entreprises.

Quant aux évolutions des brigades de corps, il suffirait le plus souvent de constater dans quel état d’esprit elles laissent les officiers qui y prennent part pour avoir de leur valeur une juste idée. Au retour, c’est un concert de récriminations et de plaintes, c’est une expression générale de lassitude et d’ennui, sinon une irritation voisine de l’indiscipline. Que dire de manœuvres qui peuvent produire de tels résultats ? L’opinion s’égare parfois ; elle peut trop facilement adopter des idées nouvelles, audacieuses, et par cela séduisantes ; mais qu’importe ! si de cet enthousiasme passager naît une énergie nouvelle. L’excès se corrige et l’équilibre se rétablit. Mais quand l’indifférence, le découragement, le mécontentement, succèdent à l’ardeur et à la foi, le mal est incurable. Les médications ordinaires ne suffisent plus : il faut changer d’air et de climat.

En somme, l’éducation actuelle des brigades de corps vient accentuer le malaise produit par leur organisation ; à un vice de forme elle ajoute une erreur de direction. À ce point défectueuses, l’organisation et l’éducation n’ont pas seulement pour effet de priver les troupes de l’aptitude tactique ; elles leur refusent encore l’aptitude morale. Aux débuts d’une guerre, les masses formées de ces élémens disparates et anémiés manqueraient à la fois de vigueur, d’habileté et d’âme.

On a coutume de tenir grand compte, en France, de ce qui se passe de l’autre côté des Vosges. Ce n’est pas sans raison ; car, outre que nos adversaires se sont depuis près d’un siècle

  1. Aux manœuvres du 17e corps, en 1884.