Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 96.djvu/379

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’instruction des corps de cavalerie, d’ailleurs, était encore à l’état embryonnaire. Elle se bornait à des indications générales qu’aucune règle précise ne venait pratiquement traduire. Les manœuvres s’en ressentirent. L’idée des masses réunies pour combattre n’avait pas encore pris une forme solide et arrêtée. Encore sous l’empire du trouble profond causé par la défaite, la cavalerie cherchait sa route. On hésitait à codifier des principes dont l’application avait été peu ou point étudiée. Le règlement de 1876 entr’ouvrait bien une ère nouvelle, mais il ne s’y engageait pas résolument. Dans la maison neuve, c’était la base et non le couronnement.

Cependant la physionomie des guerres futures commençait à se dessiner. Peu à peu on se dégagea des conceptions générales pour se rattacher à un objectif précis. Le règlement de 1882 consacra cette évolution. Dans l’emploi des masses de cavalerie, il fut plus radical et plus explicite ; il ne se contenta pas d’en tracer les règles générales, il indiqua les procédés d’exécution ; il créa les écoles de brigade et de division.

Mais les règlemens sont fragiles alors que leur manque la sanction de l’épreuve ; celui de 1882 devait se heurter à bien des obstacles. A beaucoup d’esprits non encore ouverts aux horizons de la guerre moderne, l’éducation tactique des masses de cavalerie semblait une utopie ; ils n’en pénétraient ni l’utilité, ni l’application. N’entrevoyant dans les combats de cavalerie que le choc de deux fronts démesurés et non l’engagement successif d’échelons accumulés, ils se refusaient à admettre qu’on pût rencontrer des terrains propices à d’aussi considérables engagemens. Enfin ils arguaient de l’impossibilité de prévoir tous les cas particuliers de la guerre pour nier l’utilité d’en réglementer quelques-uns, voire à titre d’exercice ou d’exemple. Alors que les auteurs du règlement avaient cherché à forcer tous les cerveaux à travailler, à méditer, à prévoir, on les accusait de formalisme ; alors qu’ils faisaient appel à l’initiative, qu’ils recommandaient de s’attacher surtout à l’esprit des théories nouvelles, on s’obstinait à n’en considérer que la lettre.

Quelques écrivains militaires se fondèrent même sur cette étrange confusion pour essayer d’une réaction tardive. Ils avaient d’ailleurs un rôle facile, car ils exploitaient des sentimens faits pour plaire. Ils proclamaient que cette tactique compliquée était de provenance allemande, qu’elle était opposée à nos traditions, qu’il fallait avant tout compter sur l’initiative des généraux, sur la fougue des troupes. Et ils appelaient cela la « tactique française. » — Singulière tactique que celle qui consiste à nier même son utilité propre et qui, sous prétexte d’une confiance, — à coup sûr honorable, mais vraiment