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doit être rompue à son escrime spéciale. Napoléon résumait cela d’un mot : « La tactique, disait-il, est plus nécessaire à la cavalerie qu’à l’infanterie. » Et pour expliquer cette sorte d’axiome, il ajoutait : « Ce n’est pas seulement sa vélocité qui assure son succès ; c’est l’ordre, l’ensemble, le bon emploi de ses réserves. »

Mais la cohésion, pour être complète, doit être aussi morale. On même esprit d’impulsion en avant, de solidarité, de confiance, doit animer les parties de ce vaste corps. Par un accord quasi magnétique, toutes, dès que l’objectif parait, doivent se ruer à l’attaque. Leurs efforts successifs, mais bien liés, doivent se fondre en une action commune, menée d’une seule traite, en un seul essor.

Telle était la physionomie de ces merveilleux escadrons de la grande armée, à ce point entraînés et « offensifs » qu’ils ne pouvaient apercevoir une cavalerie rivale sans lui courir sus. Leurs chefs, sans doute, étaient par éducation, par tempérament, des entraîneurs. Pourtant, ils n’étaient pas arrivés du premier coup à la sûreté de main qu’ils eurent plus tard. Sous l’impulsion de Napoléon, ils avaient appris, en dix années de guerre ininterrompues, à connaître, dans tous ses rouages, leur outil de combat. Non seulement, ils l’avaient façonné tactiquement, mais encore ils l’avaient moralement pénétré de leur esprit, de leur âme. Ils lui avaient communiqué leur ardeur et leur foi. Pas un général ou un colonel qui ne fût connu d’eux, jugé à sa juste valeur ; qui, en retour, ne fut pétri à leur guise, et n’eût placé en eux toute sa confiance.

S’il ne devait pas en être ainsi, si le lien tactique et le lien moral leur faisaient défaut, ces masses de cavalerie ne seraient plus qu’une force aveugle, ayant pour seul guide et pour seule garantie cette divinité capricieuse et décevante qu’on appelle le hasard !

Il serait téméraire, sans doute, de compter qu’on pourra complètement réaliser, dès le temps de paix, le programme d’éducation de la guerre, — mais au moins les institutions doivent-elles se rapprocher le plus possible de l’idéal entrevu. La cavalerie connaît aujourd’hui sa voie rationnelle : la tactique de masses. Elle y progresse trop lentement.

Les premiers essais remontent à 1876. À cette époque une division de cavalerie lut concentrée pour exécuter des manœuvres d’ensemble. Il s’agissait d’expérimenter le règlement paru cette même année et comportant une Instruction des corps de cavalerie composés de plusieurs armes. Mais en raison même de leur nouveauté, en raison surtout des changemens profonds que la théorie nouvelle apportait aux idées reçues, ces manœuvres ne pouvaient être et ne furent qu’une tentative rudimentaire aux résultats provisoires et restreints.