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république pouvait tomber, par surprise et sans défense, entre les mains de son vainqueur.

C’est sous l’impression de cette alarme, devenue très générale, et après une décision très orageuse que les États-généraux venaient enfin de se résoudre à envoyer à Versailles un député chargé de porter des paroles de paix : la mission fut résolue le Ier lévrier, sur la nouvelle de l’arrivée de Maurice devant Bruxelles ; et la prise de la ville, opérée plus rapidement encore qu’on ne pensait, ne put que hâter l’ordre du départ[1]. Mais, comme c’est ordinairement le cas des résolutions prises par des autorités partagées, incertaines et peu sûres d’elles-mêmes, la démarche, portant la trace des incertitudes qui l’avaient précédée, garda un caractère équivoque. On voulut ménager, à la fois, ceux qui l’avaient provoquée et ceux qui l’avaient combattue. Le comte de Wassenaer (c’était le nom de l’envoyé, le même qui était venu deux ans auparavant trouver Louis XV à son camp devant Lille) ne fut officiellement chargé que d’offrir au gouvernement français les bons offices de la république, pour travailler à poser les bases d’une pacification générale, afin de les proposer ensuite à l’acceptation de l’Angleterre. Des instructions ostensibles furent rédigées en ce sens et dans des termes de nature à pouvoir passer sous les yeux des cours alliées, sans constituer à leur égard un manque de loi, ou même de convenance. Mais une communication plus secrète autorisait l’envoyé à demander un armistice de quelques mois, pendant lequel l’occupation française devrait être contenue dans des limites définies, et qui pourrait être prolongé si le gouvernement anglais refusait d’entrer en négociation. En réalité, le pas était fait, c’était la neutralité réclamée et promise, car dans les momens critiques où chaque heure compte, un arrangement provisoire équivaut à une concession définitive[2]. Aussi faut-il croire qu’une

  1. Chiquet, agent français à La Haye, après le départ de La Ville, 28 janvier 1746. — (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.) — Droysen, t. III, p. 99.
  2. Arnim, ministre de Prusse à La Haye, à Frédéric, 1er février 1746. — Droysen, t. III, p. 9. — Frédéric à Chambrier, 15 février 1746. — (Ministère des affaires étrangères.) — On voit par une lettre du maréchal de Saxe au maréchal de Noailles, écrite de son camp devant Bruxelles, le 6 février, que Wassenaer avait dû demander au commandant de l’armée française un laisser-passer pour se rendre en France à travers les Pays-Bas. Maurice dut l’accorder, mais il conçut à l’instant l’inquiétude qu’une négociation entamée à Versailles ne lui permit pas d’achever le siège commencé : « Voici le moment, écrit-il à Noailles, où il faut que Je sois instruit de ce que vous faites avec M. de Wassenaer ; je crains qu’on ne me fasse faire quelque fausse démarche,.. m’abuser sur ce point, ce serait vous tromper vous-même… Si les Hollandais retirent leur troupe des places de la reine de Hongrie, je ferai ce qu’on voudra, et il n’y a qu’à mettre des pantoufles ; mais si ceci doit traîner à une négociation, je ne peux point soutenir cette position. » L’alarme de Maurice ne fut pas justifiée, puisque Wassenaer n’arriva à Versailles qu’après la prise de Bruxelles. (Saxo à Noailles, 6 février 1746. — Papiers de Mouchy.)