Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 96.djvu/345

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de veiller à la défense de la république. Une fois ce rempart tombé, l’indépendance hollandaise se sentait à découvert devant l’ennemi. Parce que cette ligne de défense venait d’être forcée, fallait-il, par une capitulation trop précipitée, se résigner d’avance à ne la jamais relever ? Que faire pourtant, si on était menacé chez soi, tout à l’heure, dans ses propres foyers, sans que ni Autriche ni Angleterre fussent en mesure de porter secours ? Devait-on périr pour ne pas abandonner des alliés qui s’abandonnaient eux-mêmes ?

Telle était la question pleine d’angoisse, véritable cas de conscience à résoudre, qui était débattue non seulement dans les assemblées d’états des diverses provinces, mais dans les lieux publics, dans les cafés, dans les brasseries, dans de nombreuses gazettes, usant sans mesure de cette liberté de presse dont ce coin de l’Europe avait seul alors le privilège. Entre une bourgeoisie pacifique, mais épeurée, et craignant toujours d’être accusée de faiblesse, et un parti fanatique, conduit par un chef ambitieux et appuyé par la populace, la lutte était ouverte et constante, et les agens anglais et autrichiens, présens sur les lieux, n’épargnaient rien pour l’entretenir. De graves souffrances matérielles venaient encore aggraver et envenimer la situation. A la suite du dernier conflit diplomatique, un édit royal avait retiré toutes les faveurs faites par les traités de commerce au pavillon hollandais dans les ports de France : des bâtimens, surpris par cette suspension imprévue, avaient été capturés et leurs cargaisons restaient sous séquestre. D’importantes cités qui vivaient de négoce se trouvaient ainsi atteintes dans les sources mêmes de leur prospérité. Un instant, à la vérité, la paix conclue à Dresde entre Frédéric et Marie-Thérèse avait calmé un peu les esprits. On s’était plu à y voir l’aurore d’une pacification générale. Des envoyés, sur-le-champ expédiés à Berlin et à Vienne, étaient allés, les uns supplier Frédéric de profiter de sa victoire pour intervenir en faveur du protestantisme menacé sur les deux rives de la Manche ; les autres, prier la nouvelle impératrice d’user de la liberté qui lui était rendue pour prendre souci de ses possessions flamandes, et arrêter le cours des exploits de Maurice. Mais Frédéric faisait la sourde oreille, ne se souciant nullement de rentrer dans une mêlée dont il avait su sortir à temps sain et sauf, et l’Autriche, qui promettait beaucoup, était lente à tenir ; en tout cas, elle ne pouvait être prête avant le printemps. En attendant, Maurice avançait toujours : l’hiver, loin de l’arrêter, ne faisait que faciliter ses mouvemens en raffermissant le sol sous ses pas ; encore quelques journées de marche et quelques traits d’audace, la frontière était franchie et la