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me fait serait acceptable dans d’autres occasions. Je connais les égards qui sont dus à une nombreuse et brave garnison, et je serais approuvé de lui accorder tous les honneurs de la guerre ; mais Bruxelles n’est point une place tenable, il ne serait pas possible d’assembler d’armée pour venir à son secours sans courir risque d’une destruction totale ; aucuns moyens ne me manquent, je puis les augmenter en artillerie et en tout autant que je le veux : aussi il ne faut qu’un peu de temps et quelques précautions pour vous forcera demander des conditions honnêtes, quoique un peu dures… J’enverrai pourtant un courrier sur-le-champ à la cour pour savoir ses ordres : je crains seulement mes propres troupes, elles sentent leur supériorité et jusqu’aux soldats connaissent des défauts à cette grande ville que j’ignorais et que peut-être votre Excellence ignore elle-même : je crains donc que dans une attaque un peu vive, ils ne forcent de toutes parts leurs officiers II marcher, et lorsque je les aurai une fois dedans, il faudra bien que j’aille à leur secours. Jugez, monsieur, du désordre et de la confusion d’une telle circonstance. Il me serait triste que ma vie fut marquée par une époque telle que l’est celle de la destruction d’une capitale. Votre Excellence ne saurait croire jusqu’où le soldat français pousse l’indiscipline et la hardiesse. J’ai vu plus d’une fois à la reddition des villes, pendant qu’on réglait les formes de la capitulation, toute la ville se remplir de soldats sans savoir par où ils y étaient entrés. A Philisbourg, cela nous est arrivé, cependant les otages en sortaient par un seul petit bateau. A Ypres, qui est assurément une place avec de hauts remparts, couverts d’ouvrages, et de bons fossés, tous les postes étaient garnis de troupes hollandaises : je fus voir M. le prince de Hesse, que je connais depuis longues années, pendant que j’étais chez lui, toute la ville se remplit de soldats français sans qu’on ait su par où ils y étaient entrés. Cela se passait à dix heures du matin. A cinq heures du soir, il envoya chez moi et me fit dire qu’ils y étaient de nouveau. On y envoya des détachemens pour les chasser. Ils sont comme des fourmis et trouvent des endroits inconnus aux autres. Jugez ce que ce serait, monsieur, dans des occasions où ils auraient le pillage pour but et dans une place mauvaise par elle-même. C’est, je vous assure, ce qui m’embarrasse le plus dans la conduite de cette affaire[1]. »

Maurice, en tenant ce fier et habile langage, témoignait plus d’assurance qu’il n’en éprouvait en réalité, car il apprenait à peu près en même temps que le prince de Waldeck, qui était resté à Anvers, toujours en qualité de commandant en chef de l’armée

  1. Maurice de Saxe au comte de Kaunitz, 11 février 1746. — (Ministère de la guerre.)