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nouveau le soir et la température qui s’adoucit. Va-t-il encore falloir s’arrêter ? « Non, s’écrie Maurice et puisque les frais en sont faits (écrit-il sans hésiter au ministre), j’entamerai demain mon opération, dût-il pleuvoir des hallebardes, et le cœur me dit que j’aurai bonne issue : je finis sans compliment. » Ne reconnaît-on pas à ce cri du cœur celui qui a dit dans ses Rêveries : « A la guerre, il faut souvent agir par inspiration ; si l’on était obligé de rendre compte pourquoi on prend un parti plutôt que tel autre, on serait souvent contredit : les circonstances se sentent mieux qu’elles ne s’expliquent, et si la guerre tient de l’inspiration, il ne faut pas troubler le devin. »

Effectivement le 28, le mouvement général s’opère. Pendant que trois corps de troupes, sous les commandemens des marquis de Clermont-Gallerande, d’Armentières et de Brézé, quittent Audenarde, Ath et Tournay, pour aborder Bruxelles sur la haute Senne, c’est vers la basse que Maurice en personne, aidé du comte de vaux, qui vient de Dendermonde, se porto avec vingt-quatre escadrons de cavalerie, vingt et un bataillons, et vingt-cinq pièces de canon. Il s’était réservé à lui-même ce point d’attaque, parce que de ce côté l’accès de la ville était rendu plus difficile par un canal latéral, trace parallèlement à la rivière : deux passages étaient ainsi nécessaires au lieu d’un seul. La distance de Gand à Bruxelles ne pouvait être franchie en un seul jour ; il fallut s’arrêter à Alost la première nuit. Mais, en arrivant, on apprit que l’avant-garde d’un régiment venait de rencontrer, en avant de cette petite ville, un gros de cinquante hussards de la garnison de Bruxelles, auquel elle avait dû donner la chasse et dont elle avait fait vingt-cinq prisonniers. Les autres, qui avaient échappé, ne pouvaient manquer d’aller donner avis de l’incident : on ne pouvait donc plus arriver tout à fait inaperçu, et, de plus, il était à craindre que dans les premiers momens d’alarmes, le commandant de Bruxelles ne prît le parti désespéré de mettre le feu aux faubourgs extérieurs de la ville, pour ne pas les laisser tomber au pouvoir des assaillans, qui y trouveraient un abri et des cantonnemens. C’eût été un grave mécompte, car, les troupes n’ayant point apporté de tentes pour ne pas ralentir la marche, le campement à la belle étoile, en plein hiver, dans un pays dévasté, aurait été une épreuve assez pénible à supporter.

Maurice, sérieusement inquiet de ce contre-temps, prit alors un parti très singulier : ce fut d’écrire lui-même, avant de quitter Alost, au comte de Kaunitz pour le détourner d’une résolution extrême dont l’utilité ne serait pas, lui assurait-il, en proportion du dommage qu’elle pourrait causer. Il faut citer tout entière cette lettre véritablement originale : « Comme je fais faire, dit-il, quelques mouvemens aux troupes que j’ai l’honneur de commander dans ce