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qu’il a témoignées de la part de la reine de Hongrie, sur le désir de cette princesse, de pouvoir traiter avec Sa Majesté, — de cour à cour, sans l’entremise d’aucune autre puissance ; — est, de son côté, dans les mêmes dispositions ; de sorte que, si la reine de Hongrie voulait faire passer secrètement, à Paris, une personne autorisée pour cette négociation, ce serait le moyen de parvenir à une conclusion, à la satisfaction réciproque des deux cours… La conclusion de la paix, ajoutait-il, du roi de Prusse avec la cour de Vienne, ne change rien au principe d’union intime avec le roi de Prusse ; nous estimons, au contraire, qu’il sera plus aisé d’agir de concert dans une négociation que nous ne l’aurions pu dans les opérations militaires[1] : » Et le ministre de France à Berlin, Valori, recevait en même temps l’instruction de représenter à Frédéric la gloire qu’il trouverait dans un rôle de médiateur qui le rendrait l’arbitre et l’auteur de la paix du monde. Pour commencer, on devait le presser d’intervenir, afin d’empêcher au moins la guerre de s’étendre, en s’opposant à tout effort que pourrait tenter l’Autriche pour entraîner les puissances secondaires d’Allemagne à sa suite et faire sortir l’empire de sa neutralité[2].

Tant d’illusion est à peine croyable. Il était clair, en effet (et d’Argenson devait être vraiment le seul à ne pas le reconnaître), que, si Marie-Thérèse avait laissé voir une humeur pacifique, c’était dans l’espoir d’éviter une humiliation et, un sacrifice, qu’elle conjurait, en quelque sorte, la France de lui épargner ; mais après qu’on lui avait laissé boire le calice et que le mal était consommé, ce n’était plus que dans les chances d’une guerre heureuse qu’elle pouvait, pour le moment du moins, trouver la compensation de ses-pertes et la consolation de ses douleurs. Quant à Frédéric, il n’était pas moins certain que, s’il s’était cru en mesure, ou s’il avait eu souci de jouer le rôle glorieux et désintéressé dont d’Argenson le croyait digne, c’était dans le cours de sa négociation et non au lendemain du traité conclu qu’il y aurait songé ; c’est quand il tenait encore le pied sur la gorge de son adversaire qu’il se serait mis en devoir de dicter les conditions de la paix générale. Mais une fois ses propres intérêts mis à couvert, et l’Autriche ayant respiré et repris haleine, lui demander de se remettre en campagne uniquement en vue du bien public, c’était lui faire à la fois trop de tort et trop d’honneur : il n’avait jamais fait preuve de si peu de prudence et de tant de grandeur d’âme. Des deux côtés, le moment propice

  1. D’Argenson à Renaud, chargé d’affaires de France et Bavière, 6 janvier 1746. (Correspondance de Bavière. — Ministère des affaires étrangères.)
  2. D’Argenson à Valori, 21-28 janvier, 10 février 1746. (Correspondance de Russie ; — Ministère des affaires étrangères.)