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l’ensemble du tableau, mais que de choses y trouvent place qui appelleraient la réflexion ! je me contenterai de mentionner la plus curieuse de toutes, la fertilité absolument monstrueuse des combinaisons essayées, adoptées, passées en lois et en coutumes, que le pauvre esprit humain a montrée sur la plus importante des questions concernant notre espèce, celle des rapports et de l’union des sexes. Il n’y a rien de si hideux, de si grotesque, de si abominable, de si ridicule, de si honteux qui n’ait été inventé sans répugnance, et accepté sans hésitation comme conforme à la nature par quelque nation grande ou petite, quelque peuplade ou quelque tribu : bigamie, polygamie, polyandrie, inceste matrimonial à la façon des Parsis, communauté des femmes, servitude de la femme, servitude de l’homme, suppression du veuvage et préservation de la fidélité conjugale par les bûchers brahmaniques, ce qui est un moyen radical d’empêcher que la morale ne reçoive quelque atteinte et que les matrones du Malabar ne déchoient jusqu’au rôle de matrones d’Ephèse, prostitution par religion, par hospitalité, par courtoisie et haut savoir-vivre, prostitution comme moyen d’éducation matrimoniale, ou d’acheminement pratique au mariage par la conquête de la dot probement accumulée par le plaisir donné, non moins qu’agréablement par le plaisir reçu, toutes ces jolies institutions et coutumes se sont pratiquées et se pratiquent encore à la confusion de notre pauvre morale européenne et chrétienne, et comme pour bien lui montrer dans quel petit coin de l’espace elle est reléguée. Lorsqu’au commencement du dernier siècle les premières révélations sérieuses arrivèrent sur l’Orient, le fait de cette infinie variété de coutumes est celui qui frappa tout d’abord nos philosophes. On sait le parti qu’en tirèrent Voltaire et Montesquieu, le dernier surtout, et comment ils s’en servirent pour établir que la morale est affaire de latitude, et qu’il n’y a pas de combinaison si étrange (ce que Fontenelle, du reste, avait indiqué avant eux avec une ingéniosité profonde, mais en l’étendant à l’universalité des mondes) qui ne puisse et ne doive se réaliser sur un point quelconque de l’espace selon les conditions de la matière sur ce point donné. La thèse est fort sérieuse, et elle a été reprise, renouvelée et étendue dans notre siècle ; mais pour nous qui ne nous piquons pas de philosophie, nous devons faire cette confession, que, par la faute sans doute de ce qui reste en nous d’atavisme chrétien, nous n’avons jamais pu porter notre attention sur ce sujet sans épouvante et sans horreur. Les détails et particularités fourmillent dans Maundeville sur les rapports des sexes dans les pays orientaux ; beaucoup sont connus ou peuvent se rencontrer ailleurs, mais dans le