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chevalier, puis de revenir le lendemain, qu’elle sortirait du souterrain pour aller à son avance, et qu’il devrait l’embrasser sur la bouche et n’avoir aucune crainte ; je ne te ferai pas de mal, lui dit-elle, bien que sous la forme d’un dragon ; car, quoique tu puisses me trouver horrible et hideuse à regarder, sache que cela est fait par enchantement. Je ne suis pas autre que tu me vois maintenant, une femme ; ne crains donc rien, et si tu m’embrasses, tu auras tous ces trésors et tu seras seigneur de toute l’île. Il partit, rejoignit ses compagnons, se fit recevoir chevalier et revint le lendemain pour embrasser la demoiselle. Mais lorsqu’il la vit sortir du souterrain sous la forme d’un dragon, il eut si grand’peur qu’il s’enfuit vers le vaisseau, et elle le suivit. Et lorsqu’elle vit qu’il ne revenait pas, elle commença à crier comme un être qui a un grand chagrin ; puis elle retourna à son souterrain, et subitement le chevalier mourut. Mais lorsqu’il viendra un chevalier qui sera assez hardi pour l’embrasser, il ne mourra pas, mais il rendra la demoiselle à sa forme vraie et naturelle, et il sera le maître de toutes les contrées et îles ci-dessus nommées.


Dans un second récit, qui, paraît-il, était connu en Angleterre avant Maundeville, le serpent a perdu tout caractère de féerie sous l’empire du christianisme et s’est transformé en une affreuse allégorie du péché.


Cette ville de Sathalie et le pays d’alentour furent perdus par la folie d’un jeune homme qui avait pour maîtresse une belle demoiselle qu’il aimait passionnément ; elle mourut subitement et fut placée dans un tombeau de marbre, et, poussé par le grand amour qu’il avait pour elle, il alla de nuit au tombeau et y entra. Au bout de neuf mois il entendit une voix qui lui dit : «  Vas à la tombe de cette femme, ouvre-la et contemple ce qu’elle a engendré de toi ; et, si tu manques d’y aller, il t’en arrivera grand malheur.  » Il alfa au tombeau et l’ouvrit, et il en sortit un serpent, hideux à contempler, qui immédiatement s’enfuit à travers la ville et le pays, et bientôt après la ville fut engloutie.


N’est-il pas étrange que ce soit dans la lumineuse Grèce, le pays par excellence de la beauté radieuse et du goût impeccable, que les deux superstitions les plus noires du vieux monde barbare, les serpens et le vampirisme, aient élu domicile ? Pour la première, du moins, celle des serpens, nous l’y trouvons acclimatée dès la plus haute antiquité. D’où sortait-elle, à l’origine ? Est-ce, comme on l’a prétendu, un reste du culte des serpens apporté par les vieux Pélasges ? C’est possible ; mais ne serait-ce pas plus particulièrement