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comme à la cour, et à l’étranger comme en France, des amis, des complaisans, des admirateurs, — et au besoin des complices. Une édition bien annotée de la Correspondance de Voltaire formerait donc un tableau de l’histoire du XVIIIe siècle, et, sans compter qu’elle tiendrait lieu toute seule de la lecture de ses Œuvres, je ne vois pas de quel événement du temps elle ne serait pas le vivant commentaire.

Si jamais on l’entreprenait, cette édition nouvelle, c’est alors qu’on sentirait le prix du troisième volume de la Bibliographie de M. Bengesco. Année par année, en effet, avec une patience et un dévoûment à son œuvre que l’on ne saurait trop louer, M. Bengesco a dressé la liste de toutes les lettres qui nous sont parvenues de Voltaire, en indiquant pour chacune où l’on en retrouverait au besoin l’original, et, à défaut de l’original, la première édition. A mesure donc que l’on découvrira de nouvelles lettres de Voltaire, — et comme le disait Beuchot, on en découvrira jusqu’au jugement dernier, — elles s’intercaleront d’elles-mêmes, à leur date et à leur place, dans la liste de M. Bengesco. C’est ici le cadre de l’édition que nous voudrions ; et en attendant que M. Bengesco nous la donne peut-être lui-même, c’est la trame d’une biographie de Voltaire plus complète et surtout plus exacte qu’aucune de celles que nous possédions. Toutes ces questions de chronologie, dont chacune est de soi assez indifférente ou assez ingrate, mais qui n’en ont pas moins ensemble une importance capitale, nous avons en effet, dès à présent, tout ce qu’il faut pour les discuter, sinon toujours pour les résoudre, dans le travail de M. Bengesco.

Nous ne saurions donc trop recommander, en terminant, cette Bibliographie des œuvres de Voltaire à tous ceux qui s’intéressent à Voltaire, en particulier, et, plus généralement, à l’histoire de la littérature française. A peine avons-nous pu montrer ce qu’elle contenait de renseignemens utiles et d’indications précieuses. Pour faire mieux, ou davantage, il nous aurait malheureusement fallu entrer dans des détails dont la sécheresse aurait risqué de déguiser l’importance réelle. Œuvre de patience, de précision, et de plus d’ingéniosité souvent qu’on ne le croit, la bibliographie n’est pas l’histoire littéraire, mais elle en est pourtant la base. Et, de tous nos grands écrivains, comme nous le disions en commençant, si Voltaire est peut-être celui dont la bibliographie est le plus indispensable à la connaissance entière de son œuvre, sa fortune, constante encore après cent ans, aura voulu, répétons-le, qu’aucun autre n’ait trouvé un bibliographe plus consciencieux, plus savant, et d’ailleurs plus modeste que M. George Bengesco.


F. BRUNETIERE.