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l’administration des deux provinces de l’Elbe et on se rendait complice d’un acte de spoliation, dont tous les bénéfices étaient pour le cabinet de Berlin. L’encre n’était pas encore sèche que M. de Bismarck disait au comte Blome avec sa cynique franchise : « En vérité, je n’aurais jamais cru trouver un diplomate autrichien qui consentit à me signer ce papier. » L’Autriche s’avisa bientôt qu’elle avait été dupe, et se retournant vers l’Allemagne, elle lui dit : « Nous sommes avec vous. » Il était trop tard. On jouait le rôle d’un voleur qui se trouve fraudé dans le partage du butin et qui invoque la sainte justice. Il n’est pas dans ce monde de plus piteux personnage que celui d’un trompeur trompé, d’un renard qui a laissé sa queue dans quelque trébuchet où il flairait une bonne aubaine.

Il y avait à Vienne des hommes d’état qui désiraient sincèrement la paix et pensaient que le seul moyen d’éviter la guerre était l’entente intime avec la diète de Francfort. D’autres se disaient, au contraire, que si jamais il fallait en découdre, ce ne serait pas un grand malheur, qu’après des avantages balancés cette guerre indécise se terminerait par un accord, par un partage, qu’on donnerait aux Prussiens tout le nord de l’Allemagne et qu’on prendrait le sud. Les royaumes secondaires et les petits états avaient eu vent de ces projets ; faut-il s’étonner que leur zèle en fût refroidi ? Au jour du danger, ils n’ont prêté à l’Autriche, à l’exception de la Saxe, qu’une tiède et molle assistance ; n’avait-on pas tout fait pour les inquiéter ? La Bavière avait promis 100,000 hommes ; ce fut à grand’peine qu’elle en mit 40,000 sur pied, et les affûts manquaient aux canons, les chevaux à la cavalerie. M. de Beust a toujours pensé que, si elle avait été prête et résolue, si elle avait envoyé 30,000 soldats en Bohême, le général Benedek aurait gagné la Bataille de Kœnigsgraetz, qu’il perdit par la faiblesse de son aile gauche. Mais si la Bavière haïssait la Prusse, elle se défiait de l’Autriche. Elle ne prit que des demi-mesures, et les demi-mesures sont de la graine de malheurs.

Comment, dans ces années critiques, la politique autrichienne n’eût-elle pas été indécise et changeante, équivoque et louche ? Si à Paris la politique officielle, que représentaient les ministres, était sans cesse contrariée, traversée par la politique personnelle et secrète du souverain, il y avait à Vienne deux ministres des affaires étrangères, celui qu’on voyait et qui était responsable, celui qu’on ne voyait pas et qui ne répondait de rien, et c’était celui qu’on ne voyait pas qui décidait de tout. Quelques années après la catastrophe de Sadowa, le comte Mensdorff disait à M. Vitzthum : « Que voulez-vous ? J’étais général de cavalerie, l’empereur m’avait appelé aux affaires étrangères, j’acceptai à contre-cœur, et on mit à mes côtés un diplomate qui avait de l’école, sans avoir le courage d’assumer les responsabilités. »