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Aux ennemis du dedans et du dehors, s’ajoutaient les faux amis, qui de Paris ou de Londres conseillaient de jeter du lest pour alléger le navire. L’Autriche avait perdu à Solférino ses plus riches provinces italiennes ; ses faux amis l’engageaient à renoncer aux autres, ils lui représentaient : qu’elle s’affranchirait ainsi de grands ennuis. M. de Beust a raconté qu’en 1878, au dîner du lord-maire, lord Beaconsfield ; revenu de Berlin, prononça un brillant discours pour glorifier l’œuvre du congrès ; il déclara qu’on avait fortifié la Turquie en la débarrassant du soin de faire la police en Bulgarie et en Bosnie. Après le banquet, M. de Beust : lui dit : « la pensée que vous venez d’exprimer avec tant d’éloquence est géniale, mais pas neuve. Jadis, on nous a dit la même chose à nous autres Autrichiens après nous avoir débarrassés de nos soucis italiens, et pour faire mieux encore, on nous a débarrassés ensuite de nos soucis allemands, de telle sorte que nous voilà tout à fait délivrés. » A toutes les propositions captieuses qu’on lui faisait, le cabinet de Vienne répondait qu’il y a pour un grand pays des questions d’honneur sur lesquelles il ne transige pas, qu’il ne peut céder une portion de son territoire, sans se manquer à lui-même, que par nécessité, après une guerre malheureuse, ou volontairement, après une guerre très heureuse, qui lui permet de se procurer ailleurs des compensations et des indemnités à sa bienséance.

Dans les situations difficiles, la conduite la plus correcte est presque toujours la plus sure ou fa moins dangereuse. Un gouvernement qui passe pour avoir des principes et se fait une réputation d’exacte probité inspire la confiance, et la confiance est une force morale dont on peut tirer de grands secours. Tout le monde se défiait de l’Autriche, de sa politique hésitante ou équivoque. Après avoir travaillé au démembrement du Danemark, il eût été de son intérêt de s’assurer l’appui de l’Allemagne, qui considérait le prince Frédéric d’Augustenbourg comme le propriétaire légitime des provinces détachées de la monarchie danoise. Si au lendemain de la paix de Vienne, l’Autriche, comme ses vrais amis le lui conseillaient, avait adopté le prince, pour son candidat et pesé sur lui pour qu’il déférât aux désirs de la Prusse en lui cédant le port de Kiel et en se liant avec elle par une convention militaire, les plans du grand conspirateur de Berlin eussent été, sinon déjoués, du moins fort dérangés.

M. de Beust se rendit à Vienne tout exprès pour présenter un mémoire à ce sujet, et M. Vitzthum a été bien aise de nous faire savoir que c’était lui qui l’avait composé et rédigé, à la demande de son chef. Le mémoire fut lu, approuvé, jeté au panier, et quelques jours après, on ordonnait au comte Blome de signer avec M. de Bismarck la funeste convention de Gastein, en vertu de laquelle, au grand scandale de tous les patriotes allemands, on se partageait avec la Prusse