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les angoisses de la conscience. Si nous passions au chapitre des intérêts, ne pensez-vous pas qu’il nous retiendrait plus longtemps ? Et toujours pour arriver à la même conclusion : la république a de beaux jours en perspective, si elle n’est menacée que par ses adversaires.

Mais alors, diront quelques personnes, c’est la consécration des principes de 1789. — A moins que ce ne soit un moyen de nous en guérir. Ferai-je partager une idée qui peut sembler d’abord paradoxale ? Je l’ignore, et pourtant j’avais hâte d’arriver à ce point. Plus d’un lecteur a dû me croire bien aveugle, s’il a pensé qu’en dénonçant le défaut de l’instrument de réforme, je n’apercevais pas tout ce qu’il y a de grand, de bon, et en tout cas d’irrévocable dans le changement du monde. On pourrait discuter longtemps la question de savoir si les gains véritables du XIXe siècle sont dus à l’action des principes, ou s’ils ont été réalisés malgré cette action, par la force naturelle de notre race, par le progrès nécessaire de la civilisation, et j’ajouterai par le développement constant de l’esprit évangélique, la Déclaration des droits n’étant qu’un exemplaire déchiré et mal copié de cette déclaration antérieure. Épargnons-nous une vaine discussion, accordons aux principes tous les bons résultats que leurs défenseurs réclament pour eux. Serait-ce donc la première fois qu’un poison aurait produit des effets admirables, avant de détruire le corps sur lequel il agit ? Mais toute l’histoire des organismes animaux et toute l’histoire des sociétés ne montrent pas autre chose. Il n’y a pas deux opinions, que je sache, sur le principe du pouvoir absolu, tel que Louis XIV en avait exagéré les conséquences : ce système funeste portait en soi son germe de ruine rapide. Cependant il n’y a pas deux opinions sur la grandeur de la France, telle que Louis XIV l’avait faite. Il n’est pas un de nous qui n’admire, qui ne regrette la magnificence et la puissance de notre pays, durant cette période. Il n’est pas un de nous qui ne blâme le vice de l’organisation sociale, qui ne voie comment le terrain, trop dégarni et trop foulé, s’effondrait sous les pieds du monarque déifié. De même pour le siècle qui finit ; malgré le vice de notre organisation ou par l’effet de ce vice, comme on voudra, il fut grand autrement, mais il fut aussi grand, j’ose le dire, que le siècle de Louis XIV ; il marquera davantage dans l’histoire générale. Ce que nous appelons une grande époque, n’est-ce pas très semblable à un homme qui ne respirerait que de l’oxygène pur ? Il ferait des choses merveilleuses tant qu’il vivrait, seulement il ne vivrait pas longtemps. Sous Louis XIV, on respirait l’oxygène d’un absolutisme sans frein ; de notre temps, on a respiré l’oxygène d’une liberté sans frein. Mettons au compte de ce stimulant un prodigieux épanouissement scientifique,