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L’expérience universelle prouve que l’institution religieuse, quelque opinion qu’on se fasse sur sa valeur absolue et sur ses abus possibles, est efficace pour procurer ce bien ; et le vœu du plus grand nombre en réclame le maintien. Il y a pour toutes les intelligences un devoir de charité, et en quelque sorte de courtoisie morale, à tenir compte de ce vœu dans leurs conceptions particulières. L’Angleterre nous donne à cet égard un grand exemple. C’est peut-être le pays où la pensée indépendante a produit les plus remarquables travaux, depuis un demi-siècle ; mais dans ces travaux, la liberté des conclusions s’allie tout naturellement avec une déférence respectueuse pour les besoins religieux du corps social. Le savant moderne ne se demande pas si un besoin est fondé en raison ; l’existence de ce besoin en crée la légitimité. Nul ne pourra s’offusquer si l’État réserve une place importante à la religion dans les services qu’il offre à tous. Et comme la pire maladresse est de traiter en ennemi celui à qui l’on ouvre sa maison, la dignité même de l’État veut qu’il entretienne avec son allié des rapports prévenans et cordiaux. Ce doivent être les rapports d’une famille avec son médecin ; on ne le consulte pas pour chaque vétille ; on ne le tient pas toujours pour infaillible ; quelques-uns font profession de ne pas croire à la médecine et se passent des conseils du docteur ; néanmoins il est l’oracle du foyer, le confident de la femme, le gardien de la santé des enfans ; dans les cas graves, la plupart des hommes n’hésitent pas à se remettre entre ses mains. Vis-à-vis de cet hôte indispensable, il n’y a pour le chef de famille qu’une attitude possible, la confiance amicale.

Entre toutes les raisons qui militent pour le bon accord, il en faut signaler deux, spéciales au moment présent. La première est d’ordre intérieur. Notre société est menacée par des revendications violentes, contre lesquelles elle n’a d’autre défense que la force pure, en un temps où cette force se déplace lentement et s’accumule dans les mains qui revendiquent. Nous venons d’examiner les principes de la vie civile : nous avons vu que non-seulement ils sont impuissans à protéger la société actuelle, mais qu’ils se tournent fatalement contre elle, pour lui faire subir le sort qu’elle a infligé à sa devancière, au nom de ces principes. La religion offre son secours. On ne me fera pas l’injure de se méprendre sur l’idée exprimée ici ; il ne s’agit pas d’utiliser l’église comme un engin pour museler le peuple. Il s’agit de lui laisser expérimenter l’arbitrage où elle croit réussir. Depuis quelque temps, elle se prépare à ce rôle, elle intervient chaque jour plus délibérément dans les questions sociales. On doute fort de la vertu de sa recette ; peut-être avec raison. Mais en avons-nous une autre ? Sauf les grandes phrases, chacun sait bien que nous n’en avons pas. N’y eût-il dans