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ne saurait faire doute. Je ne prétends point qu’elle soit hostile à l’état politique qu’on rattache aux principes, oh ! pour cela non, et sous y reviendrons tout à l’heure. Mais elle n’a plus foi dans le dogme fondamental ; les maîtres qu’elle écoute le plus volontiers lui en ont démontré l’insuffisance, par le seul procédé de raisonnement auquel elle soit sensible, la leçon des faits. A l’inauguration de la Sorbonne, parmi ces jeunes gens qui applaudissaient de si grand cœur la République et son premier magistrat, je gage que si l’on eût mis en cause la valeur philosophique de la Déclaration des droits, elle eût trouvé bien peu de défenseurs. Les logiciens la discutent ; les autres laissent dormir en paix des erreurs historiques, désormais dénuées d’intérêt pratique. Il semble que ce soit la disposition la plus habituelle dans nos grandes écoles ; quand on veut les stimuler sur ce chapitre, on a autant de succès que si l’on demandait à un pommier de porter des glands. A l’occasion du Centenaire, la Faculté de droit de Paris avait mis au concours ce programme : « Formuler les principes de 1789 en matière de droits publics, écrire leur histoire, examiner leur autorité en France, étudier leurs destinées à l’étranger. » Les juges n’ont reçu qu’un seul mémoire, insignifiant sans doute, puisqu’ils n’ont pu décerner ni prix ni mention. Un éminent professeur de l’École s’en plaignait en ces termes, dans son rapport : « Ce n’est pas la première fois que la Faculté constate la faiblesse relative des mémoires destinés au concours de droit constitutionnel… Tout ce que demandait la Faculté, c’était de voir où en était l’édifice à l’heure actuelle. Elle regrette encore une fois de n’avoir trouvé personne qui ait sérieusement tenté cette œuvre. Peut-être sera-t-elle plus heureuse au prochain centenaire. » — Attendons. Il y a des ormes tout proches, au jardin du Luxembourg.

La foi est-elle plus vivace parmi les champions qui combattent pour les principes de 1789, à la tribune et dans la presse ? Sans être bien avant dans le secret des coulisses, il n’y a pas un Parisien qui ne sache avec quel scepticisme facile on « lâche » les principes, dans l’abandon d’une franche causerie, après l’article rédigé ou le discours prononcé. La parole et la plume trouvent encore des argumens à leur service, on les loue comme un mort officiel ; mais dès que le cœur s’ouvre, regardez au fond : le mort est bien mort. En marquant ici cette contradiction habituelle entre la fermeté du langage et la faiblesse de la croyance, telle que chacun a pu l’observer, rien n’est plus loin de ma pensée qu’un reproche d’hypocrisie. La presse est aujourd’hui le premier pouvoir public ; elle sent sa responsabilité, elle est tenue à ces conventions de protocole, à ces professions solennelles dont aucun pouvoir se saurait se dispenser ; il est très naturel qu’elle parle comme les cours et