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s’installent à Paris, ils y deviennent très vite les égaux, mais aussi les ménechmes de nos peintres. Parmi nos portraitistes en vogue, il n’en est guère de plus aimable, de plus séduisant, de plus spirituel que M. Raimundo de Madrazo ; mais que lui reste-t-il d’essentiellement madrilène ? M. Melida, dans ses charmantes et sérieuses études, se rapproche, presque à s’y méprendre, de M. Bonnat ; on peut dire, il est vrai, que M. Bonnat a beaucoup du tempérament espagnol. Et la peinture la plus nouvelle, la plus hardie, l’une des plus importantes de la section, celle à laquelle le jury a décerné la médaille d’honneur, la Salle d’hôpital, par M. Jimenes, n’est-elle pas toute parisienne ? Que M. Jimenes, dont l’œuvre est vraiment sincère, bien exécutée, simplement et fortement émue, se soit mis au courant de tous les procédés septentrionaux, qu’il ait voulu apporter à son pays un certain nombre de révélations utiles sur le charme des harmonies apaisées, la poésie des perspectives bien aérées, la puissance de l’observation juste et de l’expression vraie, rien de mieux assurément, et c’est ainsi qu’il faut commencer ; mais quel service il rendrait à son pays en appliquant son talent à l’étude des choses indigènes, quel service il rendrait au nôtre en développant à côté de l’art français un art espagnol !

Chez les peuples jeunes, comme les Russes et les Américains, qui naguère avaient tout à apprendre, on comprend mieux cette soumission excessive devant leurs maîtres, que chez les Italiens et les Espagnols, dont le tempérament pittoresque est héréditaire et qui trouvent chez eux tant d’exemples d’indépendance. Cependant chez les Russes, dont l’exposition est fort intéressante, au milieu des imitations françaises, bavaroises, autrichiennes qui sont dues à MM. Makowski, Szymanowski, Swiedomski, tous trois peintres vigoureux, mais d’un caractère indéterminé, on voit déjà poindre un sentiment original d’observation sagace et hardie chez un certain nombre de peintres familiers. Les scènes de mœurs de M. Chelmonski, le Marché aux chevaux et le Dimanche en Pologne, d’une exécution triste et lourde, mais d’une force extraordinaire dans la définition des figures, avec un mélange piquant d’ironie bienveillante et de grossièreté tendre, sont, à cet égard, remplies de promesses. Il n’est pas douteux que Mlle Marie Bashkirtsoff, la jeune fille si avisée et si indépendante, que son journal posthume a rendue célèbre, ne fût entrée dans cette voie ; quelques-uns de ses portraits nettement accentués l’attestent hautement. Les études de MM. Pranishnikoff, Sokoloff, Endogouroff, Pankiewicz, Kouznetzoff sont également intéressantes, parce qu’on y constate la recherche sincère d’un art national.

Les États-Unis auront-ils bientôt un art à eux ? C’est à quoi