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regarde encore MM. Ciardi, Dell’Oca Bianca, Dell’Orto, Calderini, Gignons, Sartori, tous Vénitiens, Milanais ou Piémontais, on se prend à croire que c’est par les paysagistes, et par les paysagistes de la Haute-Italie, que l’art de la péninsule va entrer à son tour dans les voies modernes.

En Espagne, l’habileté courante est plus grande encore qu’en Italie. M. Domingo Marquez, dans la figure et dans la fantaisie, M. Rico, dans le paysage, sont des exemples frappans de cette virtuosité extraordinaire qui séduit toujours des yeux peu exercés, mais qui ne suffit pas à régénérer une école. Les Espagnols ont conservé un goût singulier, un peu théâtral, pour les grandes scènes tragiques, douloureuses et sanglantes. On a appelé leur galerie la salle des suppliciés, et de fait, les massacres et cadavres y abondent. Presque toutes ces énormes toiles sont traitées en décors, avec cet éclat un peu factice de colorations voyantes et fondantes, ces encombremens de tentures, de mobilier, de draperies, d’accessoires qui sont comme une dernière traînée du bric-à-brac romantique. Il s’y mêle de la vivacité d’ailleurs, et de la verve, et parfois une certaine grandeur forte et terrible dans les figures ! Telles sont la Cloche de Huesca par M. Casado, la Chaise de Philippe II par M. Alvarez, la Conversion du duc de Gandia par M. Morero Carbonero. L’Exécution des Torrijos en 1531 par M. Gisbert est dessinée avec plus de recherche et de tenue, mais aussi avec plus de froideur. La Prise de Grenade par M. Pradilla est une mise en scène brillante, une noble parade historique en riches costumes, qui ne fait point oublier pourtant le grand succès de 1878, cette douce et touchante Jeanne la Folle pleurant devant le cercueil de son mari. Tout cela est chatoyant, scintillant, vivement brossé, dans le véritable goût du terroir ; il suffirait de donner plus de fond à ces bariolages, à ces corps plus de consistance, aux expressions plus de précision pour qu’il sortît de là un art sérieux et original. Ni l’imagination, ni la verve, ni la finesse d’observation ne manquent aux Espagnols lorsqu’ils veulent s’en donner la peine ; nous en avons la preuve dans les dessins chaleureux et vifs de MM. Aranda et Vierge ; mais il faudrait qu’ils pussent transporter avec une science plus sûre ces qualités précieuses de l’illustration lilliputienne dans la peinture héroïque et monumentale dont ils ont la passion !

C’est donc en Espagne, selon nous, sur des modèles espagnols, dans le paysage espagnol, que ce travail de régénération studieuse devrait s’accomplir. Les Espagnols, comme les Italiens, sont si bien doués par la nature, si facilement habiles, ils se mettent si vite au courant de toutes les adresses techniques, que, lorsqu’ils