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endroits de l’Exposition internationale où l’on éprouve le moins le sentiment de la surprise ou celui d’une transplantation dans une atmosphère lointaine et nouvelle. Que cela tienne à des traditions d’enseignement conservées dans les écoles locales, aux habitudes de dilettantisme invétérées dans les classes aristocratiques qui, à Vienne et à Pesth, restent encore les protectrices les plus éclairées et les plus sûres des artistes, la peinture austro-hongroise est une de celles qui se rajeunissent le plus lentement et le plus péniblement. Les artistes de ce pays se laissent difficilement pénétrer par ces aspirations vers la vérité, la simplicité, la lumière qui agitent en ce moment l’Europe autour d’eux, ou lorsqu’ils en sont touchés par l’intermédiaire des maîtres français, ils demeurent si étroitement attachés à l’imitation de ces maîtres, qu’on ne saurait actuellement prévoir, par contre-coup, dans ce milieu, le développement d’une originalité spéciale. La résidence, à Paris, de la plupart des artistes autrichiens explique d’ailleurs, en même temps que leur habileté, leur absence de caractère particulier et le peu d’influence qu’ils exercent dans leur propre pays.

Le plus habile artiste, dans l’ordre décoratif et monumental, dont l’Autriche s’enorgueillissait en ces dernières années, Hans Makart, récemment décédé, représentait à merveille ce dilettantisme mondain, sans profondeur et sans avenir, dont les meilleures productions gardent l’allure théâtrale d’un romantisme attardé. Son Entrée de Charles-Quint à Anvers, qui eut tant de succès en 1878, restera comme l’exemple le plus brillant de cette manière élégante et factice, de cette facture superficielle et surannée. La Walkyrie et le héros mourant, la seule toile qui rappelle sa mémoire, ne donne qu’une idée fort incomplète de son talent. Il y a sans doute de la tendresse, une tendresse affectée et langoureuse, dans le baiser que la déesse guerrière, demi-pâmée elle-même, applique sur le front du blessé ; mais combien tout cela est loin du style héroïque et du grand décor, tant par la mesquinerie du dessin et de l’expression que par la banalité sourde et terne des colorations roussies et fanées ! Ces harmonies jaunâtres, dues à l’imitation des vieilles peintures altérées et ternies par la superposition des vernis et des poussières, ne restent plus guère à la mode que dans quelques ateliers d’Allemagne où l’on étudie plus les musées que la nature. Chez nous, au temps du romantisme, il y eut une heure aussi où l’on vit jaune, à force de regarder les Rembrandt dorés et salis par les années, et quelques-uns ne crurent, pas à la couleur en dehors du brûlé et du recuit ; mais il y a longtemps que ce voile ; factice, interposé, par une admiration ignorante, entre les yeux de l’artiste et la réalité des choses, a été déchiré