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figure d’un beau caractère ; on ne trouve pas moins de noblesse dans la grâce chez les choéphores, indifférentes ou curieuses, de tout âge, qui l’entourent.

L’antiquité de M. Alma-Tadema est plus familière que l’antiquité de M. Leighton ; la grâce y est plus vivante, et, pour transfigurer les misses et les ladies en fiancées grecques ou en matrones romaines, M. Alma-Tadema possède, sur sa palette claire et lumineuse, d’admirables recettes d’incantation. Quelle carrière a parcourue M. Alma-Tadema depuis que nous l’avons vu, laborieux élève de Leys, tenter, dans une gamme noire et lourde, ses premières restitutions archéologiques ! Comme il s’est allégé, éclairé, vivifié depuis, acquérant chaque jour une science plus intime de la femme antique et de la femme moderne ! Une anecdote de Plutarque, citée par George Eliot, lui a inspiré sa jolie composition des Femmes d’Amphissa. Voici comme notre Amyot la raconte : « Il advint que les femmes dédiées à Bacchus, que l’on appelle les Thyades, qui vaut autant à dire comme les forcenées, furent esprises de leur fureur, et courans vagabondes, çà et là, de nuit, ne se donnèrent de garde qu’elles se trouvèrent en la ville d’Amphisse ; là où estans lassées, et non encore retournées en leur bon sens, elles se couchèrent de leur long au milieu de la place et s’endormirent. De quoy estans adverties les femmes des Amphisséiens, et craignans qu’elles ne fussent violées par les soudards des tyrans, dont il y avoit garnison en la ville, elles accoururent toutes en la place, et se mettans alentour d’elles sans mot dire, les laissèrent endormir sans les esveiller. Puis, quand elles se furent d’elles-mêmes esveillées, elles se mirent à les traiter chascune la sienne et à leur donner à manger ; puis, finablement, ayans demandé congé de ce faire à leurs maris, les convoyèrent à sauveté, jusques aux montagnes. » Le peintre a saisi le moment où les folles du dieu, allongées sur les dalles, sortant de leur sommeil halluciné, se soulèvent, s’étirent, se frottent les yeux pour se reconnaître. Les Amphissiennes hospitalières, rangées en ligne au fond de la place, les regardent avec compassion et tendresse ; quelques-unes, les plus vieilles d’abord, les plus jeunes ensuite, se détachent pour leur apporter quelque nourriture. Tout ce groupe, vêtu de tuniques et de péplos clairs, s’enlève en blanc sur le fond blanc des colonnades de marbre ; les Thyades aussi sont vêtues de blanc, et c’est au milieu d’exquises blancheurs que rougissent leurs visages plus allumés que ceux des honnêtes ménagères, les gardiennes de leur vertu. Et cette délicatesse de la couleur n’est point une délicatesse superficielle, car M. Alma-Tadema est aussi fin dessinateur que fin coloriste. Toutes ces Grecques ont l’allure cadencée, l’expression