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renouvelle par la variété des argumens et des intonations une cause qui ne change pas. Il commence avec mesure et avec dignité, il cherche à attendrir le public sur ses malheurs, il parle de sa femme avec grâce, avec tendresse, en homme qui a aimé et qui a souffert, et dès le premier jour il arrache des larmes de tous les yeux. Son beau-père lui-même, qui écoutait en ricanant le commencement de la plaidoirie, quitte l’audience, suffoqué par l’émotion.

On ne répond aux avances de l’orateur que par des insultes. Alors piqué au vif, animé d’une indignation légitime, il s’échauffe à son tour, il rend à ses adversaires coup pour coup, il attaque, il accuse et il cloue à son banc l’avocat de Mlle de Marignane foudroyé. Quoique préparés avec le plus grand soin et en partie écrits, les quatre plaidoyers de Mirabeau n’ont pas été publiés ; mais M. de Loménie, qui possède le manuscrit du plus important de ces discours, nous le donne aux pièces justificatives. C’est celui du 23 mai 1783, le jour où Mirabeau plaida, nous dit son père, « depuis huit heures et quart du matin jusqu’à une heure, sans cracher ni moucher. » La lecture en est attachante sans cependant nous rendre l’impression exacte de l’audience. Bien des passages ont dû être changés dans le mouvement de l’improvisation, sous les yeux et en quelque sorte sous l’influence du public. Il faudrait d’ailleurs ajouter à la parole écrite et nécessairement refroidie le port, le geste, la voix, la mimique, l’action oratoire en un mot, qui était merveilleuse chez Mirabeau et que sa sensibilité méridionale rendait irrésistible. Il ne lui arriva pas une fois de prendre la parole devant le public d’Aix sans être applaudi et suivi par la foule jusqu’à sa voiture.

Malgré un succès si éclatant, il perdit sa cause et il devait la perdre. On a souvent cité cet exemple pour détourner les orateurs même les plus habiles de se défendre personnellement en justice. Outre que le parlement, composé d’amis de M. de Marignane, était prévenu contre Mirabeau, le tempérament passionné de celui-ci devait l’entraîner à commettre des fautes de tactique presque inévitables. Ses adversaires l’avaient prévu ; leur injurieuse campagne avait pour objet de le mettre hors de lui : « Il faut le piquer, disait Pascalis, il s’emportera comme un cheval entier, et nous le tiendrons. » On réussit, en effet, par ce moyen à mettre les juges contre lui ; mais s’il perdit son procès devant eux, il le gagna devant le public : « Il est incroyable, écrit le marquis, comme ce bourreau-là a gagné le peuple. » Il l’avait si bien gagné que, six ans plus tard, lorsqu’il retournera en Provence pour y briguer la députation aux états-généraux, il retrouvera les mêmes sympathies et le même enthousiasme. La foule reconnaîtra dans l’orateur politique l’avocat qu’elle avait tant applaudi.

Mirabeau se rendait instinctivement compte de la victoire morale