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impression déplaisante, étaient bientôt effacées par l’éclat de ses yeux pleine de feu, par la grâce de sa bouche spirituelle, par le charme de la conversation la plus séduisante. Lorsqu’il renonçait au ton cérémonieux ; qu’il prenait volontiers en se présentant dans le monde, l’à-propos de son langage, la vivacité de ses saillies, l’aisance de ses répliques, la facilité avec laquelle il jouait les personnages les plus divers, enchantaient et subjuguaient ses interlocuteurs. « Ne regrette pas, lui écrit un jour Mme de Monnier, le brillant d’esprit que tu prétends avoir perdu. Sais-tu pourquoi il fait avoir des femmes ? C’est qu’il les interdit. Tu les mènes plus loin qu’elles ne voulaient, elles ne savent point répondre à tes raisonnemens ; tu attaques leur tempérament, tu les as sans qu’elles le veuillent quelquefois. »

C’est le premier chapitre de son propre roman qu’écrit ici la marquise. Après une résistance de pure forme, facilement vaincue par des raisonnemens analogues à ceux de Saint-Preux dans la Nouvelle Héloïse, après un très court essai d’amour platonique, cette nouvelle Julie cède aux instances de Mirabeau. Le quatrième dialogue inédit où les deux amans se tutoient-déjà indique le moment précis de la chute. « Quoi ! dit le comte, tu partages mes désirs et tu repousses mes transports ! .. tu m’as donné ton cœur et tu me refuses tes faveurs ! Je presse de mes lèvres tes paupières mourantes. Je cueille sur ta bouche les plus délicieux baisers… mon âme enflammée s’élance vers la tienne… tu m’enivres d’amour et tu ne veux pas apaiser le feu qui me dévore ; que tu as porté dans mes veines. » La personne qui permettait de telles privautés n’était plus en mesure ni en humeur de se défendre. Sophie n’y met du reste aucune hypocrisie. « Que je suis satisfaite, écrit-elle au mois de juin 1777, de ne pas t’avoir fait souffrir bien longtemps, de t’avoir fait presque aussitôt l’aveu de mes sentimens, et d’avoir vaincu mes résolutions et mes projets d’indifférence, de liberté pour faire notre bonheur à toux deux ! Comme j’ai joui du tien avant de le sentir autant que1 je l’ai fait depuis ! »

Au milieu de cette galante aventure, que devenait le mari ? M. de Monnier fait penser à certains personnages des Contes de Boccace ou des comédies françaises dont l’extrême crédulité divertit le lecteur. Il a pris Mirabeau en amitié, il ne peut plus se passer de sa présence, il donne des fêtes en son honneur, il prend publiquement son parti contre le commandant du fort de Joux, qui s’est lassé des incartades de son prisonnier et lui ordonne de se remettre sous les verrous. Rassurée par la confiance de son mari, Mme de Monnier a l’audace de cacher son amant pendant deux jours dans un cabinet noir qui touche à sa chambre à coucher. Plusieurs fois