Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/936

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

froid de l’oubli. Ce serait une méthode sage et pieuse de brûler tout ce qu’on aime, pendant qu’on aime encore.

L’Exposition se proposait de nous montrer le siècle révolu, d’en glorifier le point de départ et le point d’arrivée. Employons ces derniers jours à l’examen rétrospectif auquel tout nous invite. Pour nous reporter à cent ans en arrière, on a accumulé au Champ de Mars et en maint autre endroit les collections historiques, les restitutions architecturales. Ce siècle se raconte lui-même, au jour le jour, dans les peintures et les estampes de la galerie des Beaux-Arts ; le drame initial est remis en scène, un peu défiguré par les arrangemens de parti-pris, au musée de la dévolution ; les tableaux ingénieux de MM. Gervex et Stevens font défiler sous nos yeux presque tout le panthéon du Centenaire et quelques échappés de la fosse commune. Les auteurs de ces tableaux ne songeaient peut-être qu’à nous amuser ; par cela seul qu’ils ont été des photographes exacts, sans intention doctrinale, leur œuvre est éminemment philosophique. Entrons dans cette rotonde du jardin des Tuileries, où « l’Histoire du siècle » est écrite par les ombres des morts et continuée par les effigies des vivans. Essayons de vérifier les idées qui firent mouvoir ces ombres. Nous serons aidés dans notre recherche par les travaux récens des historiens, des publicistes ; à l’occasion du jubilé, les écrivains ont fait l’exposition des idées, comme les peintres l’exposition des figures. En dehors des vieilles écoles d’apologie ou de dénigrement, quelques esprits impartiaux ont apporté des conclusions personnelles, très fortement motivées ; il convient de citer en première ligne la France du Centenaire, de M. Goumy, les Principes de 1789 ; de M. Ferneuil ; rappelons-nous aussi deux livres plus anciens, mais qui sont toujours neufs par les franches vérités qu’ils proclament : la France contemporaine, de M. Lorrain, le Péril national de M. Frary. Quant aux Origines de la France contemporaine, c’est la source-mère où nous puisons tous. Cependant l’enquête reste ouverte, nulle déposition n’est inutile, pourvu qu’elle soit de bonne loi ; celle qu’on trouvera ici espère se faire lire, à ce titre ; elle ne vaut que par le détachement d’un spectateur qui cherche uniquement à s’éclairer.

Devant les images évoquées sur cette toile, une première question se pose. Ces morts ont-ils encore une personnalité réelle, invariable, distincte de la nôtre, à nous qui les regardons ? Ou ne sont-ils que des masques de théâtre, sous lesquels notre esprit s’insinue pour leur faire jouer un rôle dans ces pièces de notre invention, au gré de nos conjectures et de nos passions du moment ? Voici par exemple le groupe des conventionnels : quand j’appris à les connaître, — je suppose que plus d’un lecteur, est dans le même cas, — ils étaient des scélérats vomis par l’enfer pour