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d’élégance, ou de netteté qui passent pour être les nôtres. Ai-je tort ou raison de penser que, depuis quelques années, les jeunes écrivains s’y efforcent ? et que, dans l’étrange confusion d’idées et de doctrines où l’on voit qu’ils se débattent, Naturalistes et Symbolistes, ce qu’ils voudraient, c’est de concilier l’obligation d’imiter la nature et la vie avec le droit de l’interpréter ?

L’avenir nous le dira ; mais, en attendant, quelques points me paraissent dès à présent assurés. En dépit des dilettantes, c’en est fait désormais pour longtemps de la doctrine de l’art pour l’art. Elle ne renaîtra pas de ses ruines, étant trop aristocratique, et, d’ailleurs, n’étant pas l’expression de la dignité de l’art, comme on l’a quelquefois soutenu, mais plutôt d’une conception également fausse de l’art et de la vie, qu’elle tend à isoler l’un de l’autre, et qu’en les isolant elle dénature tous deux. Il faut que l’art et la vie soient mêlés, sous peine de n’être plus, l’art qu’un baladinage, et la vie qu’une fonction de l’animalité. S’il faut, qu’ils soient mêlés, il faut donc, en second lieu, que l’art, pour cela, soit conçu comme une imitation de la nature et de la vie. En effet, dans la sculpture même et dans la peinture, à plus forte raison dans la poésie, et généralement dans la littérature, tout autre objet que l’on se propose, s’il n’a pas l’imitation de la nature pour principe, pour loi, et pour juge, est vain, trompeur, et d’ailleurs irréalisable. Et il faut, en troisième lieu, que cette imitation de la nature et de la vie, trop souvent faite par nos naturalistes, — auteurs dramatiques, romanciers, poètes même, — dans un esprit d’orgueil et d’ironie, le soit au contraire dans un esprit d’indulgence, pour ne pas dire de charité. Cette condition n’est pas moins nécessaire que les autres, ou plutôt, s’il y avait des degrés dans la nécessité, nous dirions qu’elle l’est davantage.

On nous pardonnera d’avoir tant insisté, mais, comme peut-être on en conviendra, le sujet en valait bien la peine, et nous n’avons guère fait ni pu que l’effleurer. Si l’on s’en aperçoit, et, dans cette esquisse du « mouvement littéraire au XIXe siècle, » si l’on est plutôt étonné de tout ce qui manque, nous espérons au moins que, pour le suppléer, le lecteur ira le chercher dans le livre de M. George Pellissier. Il l’y trouvera, sans aucun doute. Et quelques critiques que nous en ayons faites, qui ne portent aussi bien que sur des points de détail, nous nous flattons que tous ceux qui s’intéressent à l’histoire des idées, comme tous ceux qui ne sont curieux que du talent, nous remercieront de leur avoir indiqué ce livre et ce nom.


FERDINAND BRUNETIERE.