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Quel est donc ce caractère ? Assurément, ce n’est, pas cette curiosité des littératures étrangères dont nous avons dit que le livre de l’Allemagne avait donné le signal. Elle est trop superficielle ; et si nous regrettons qu’il n’y ait rien de très « shakspearien » dans le théâtre de Dumas lui-même ou d’Hugo, nous sommes heureux, en revanche de n’y rien trouver non plus de trop « septentrional ». Les romantiques ont bien pu se réclamer de Goethe ou de Shakspeare, et revendiquer, au nom de l’auteur d’Hamlet ou de celui de Faust, les libertés qu’on se donnait le droit de leur refuser au nom de Voltaire, de Racine, de Corneille. En réalité, l’admiration de l’étranger n’a jamais été pour eux qu’une machine de guerre, et, quand ils en ont eu tiré le service qu’ils en attendaient, — c’était de débusquer de leurs dernières positions les derniers des classiques, — ils l’ont mise au rebut, « en catégorie de réserve, » et ils n’ont plus admiré sincèrement qu’eux-mêmes.

On ne peut pas davantage ramener, et encore moins réduire, l’originalité propre du Romantisme à ce qu’il a trouvé, sur les traces de Chateaubriand, d’inspirations et d’accens nouveaux dans les souvenirs d’un passé pour lequel, au XVIIIe siècle, on n’éprouvait guère, comme Voltaire, que de la haine, et au XVIIe, comme Boileau, que de l’indifférence. Il y a sans doute du gothique dans Notre-Dame de Paris ; il y en a même du flamboyant ; il y en, a aussi dans la Tour de Nesle ; et il y a de la religiosité dans les Harmonies, dans les Destinées, dans les Contemplations ; il y en a, si l’on veut, dans les Nuits. J’ajouterai même, à cette occasion, qu’en renouvelant ainsi, chez un grand peuple, la conscience d’abord, puis l’orgueil de ses origines et de son rôle, nos romantiques n’ont pas rendu de moindres services à l’histoire qu’à la poésie. Mais, après cela, si ce caractère est assez profondément empreint dans les œuvres du Romantisme, il n’est pas le plus profond encore, ni le plus universel. On le chercherait vainement dans Antony, par exemple, ou dans les Misérables. Et, d’autre part, si cette sympathie pour le passé fait un élément nécessaire de la définition du Romantisme, elle est bien plus encore, à toutes les époques et dans toutes les littératures, une condition de la poésie même. Pas un grand poète, en aucun temps, depuis Homère jusqu’à Hugo, dont les regards ne se soient tournés complaisamment vers le passé ; dont l’imagination n’ait aimé remonter d’âge en âge le cours lointain des jours vécus ; et de qui l’on ne puisse dire, avec la philosophe, que l’humanité se compose pour lui de moins de vivans que de morts.

Une observation semblable ou analogue n’est-elle pas encore aussi vraie de ce sentiment de la nature dont on a voulu faire