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elle-même, mais une autre, « semblable à ces enfans drus et forts du lait qu’ils ont sucé, et qui battent leur nourrice. »

Le reste est mieux su : comment le Romantisme a gagné. ; quelles recrues il a faites ; et comment, enfin, la littérature du XIXe siècle a pu croire qu’elle avait rompu les derniers liens qui la rattachaient au siècle précédent. et, à vrai dire, de même que notre littérature classique n’a pas continué le moins du monde notre littérature du moyen âge, mais s’y ajoute ou s’y superpose ; ainsi, ne se pourrait-il pas que la littérature moderne, dont le Romantisme a livré la première bataille, fut une troisième littérature encore, dont l’unité de langue fera, dans l’avenir, l’unique liaison avec celles qui l’ont elle-même précédée ? Pour le moment, la question est plus facile à poser qu’à résoudre ; on l’agitera plus tard, dans cent cinquante ou deux cents ans d’ici. Mais celle que nous pouvons traiter dès maintenant, c’est de savoir pourquoi le Romantisme est mort, — car il est mort aussi, lui, bien mort, presque plus mort que le Classicisme, — et comment il est mort.


III

En effet, on ne meurt pas tous au même âge, ni de la même manière ; et, dans l’histoire de la littérature comme dans la nature même, il semble que les doctrines ou les genres apportent avec eux, en naissant, une probabilité de longue vie ou de mort prochaine, dont, à la vérité, les circonstances peuvent bien quelque temps contrarier les effets, mais non pas les empêcher d’être. Pour expliquer la rapide, l’étonnante fortune du Romantisme et sa mort si prompte, presque subite, il ne suffit donc pas de dire qu’il a suivi le destin des choses humaines, — qui est de naître et de ne pas durer. Les dilettantes ou les amateurs peuvent seuls se contenter d’une semblable raison, et j’aimerais autant que l’on dît que nous mourons parce que nous sommes mortels. Mais il faut encore montrer que le Romantisme est mort de l’exagération de son propre principe, et que les raisons de sa décadence ne le sont devenues qu’après avoir d’abord commencé par être celles de son ascendant et de son triomphe. C’est ce qu’il ne sera pas difficile de taire si, parmi tous les traits qu’on a vus qui servaient à le définir, nous réussissons à reconnaître et à nommer le principal, ou, comme l’on dit, l’essentiel, celui qui met un air de famille entre les élégies de Lamartine, les romans de George Sand, et les Histoires de Michelet ; celui dont les variations entraînent ou commandent, si l’on peut ainsi dire, des variations de tous les autres ; et celui qui ne distingueras enfin moins profondément le Romantisme du Réalisme, qui l’a suivi, que du Classicisme, qui l’avait précédé.