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toute seule toute la beauté d’un vers. Dans un livre sur le Mouvement littéraire au XIXe siècle, ces considérations ne valaient-elles pas bien la peine d’être développées, non-seulement indiquées ? et quel moyen de le faire, que de citer, que d’analyser, que de mettre sous les yeux du lecteur les élémens de la comparaison ? M. Émile Faguet l’avait fait dans son étude sur Victor Hugo, d’autres aussi ; et M. George Pellissier l’eût pu faire après eux, sans les répéter. Faute de l’avoir fait, son chapitre ou plutôt les quelques pages qu’il a écrites sur « la rénovation de la métrique » par le Romantisme demeurent obscures ; et je le regrette, parce que je sens bien qu’il n’eût tenu qu’à lui de nous faire passer, après lui, par les chemins qui l’ont conduit lui-même aux formules trop générales dont il s’est contenté. Il y a des cas où l’écrivain doit garder ses « notes » pour lui : il y en a d’autres où elles sont la preuve, nécessaire à fournir, de la justesse de ses conclusions.

Voici deux ou trois points encore où je chercherais querelle à M. Pellissier. « Les romantiques, dit-il, exigèrent à la rime une plénitude de son que notre poésie ne connaissait plus depuis-Malherbe. » La phrase n’est pas assez claire ; elle tend à faire croire que Malherbe aurait donné peu d’attention à la qualité de la rime ; et c’est le contraire qui est vrai. Je n’en ferais pas d’ailleurs l’observation si M. Pellissier n’avait écrit quelques lignes plus haut, que « les romantiques portèrent dans les formes qu’ils restauraient une science de facture qu’eussent enviée les plus délicats artistes de la renaissance. » Car, en vérité, quels sont donc les « délicats artistes » dont on parle ? Est-ce Baïf ? est-ce Ronsard ? Je ne puis du tout, pour ma part, leur accorder cet éloge. Baïf, Jean-Antoine de Baïf, le « métricien » de la Pléiade, n’est qu’un insupportable pédant, barbouillé de grec et de latin, que l’on avait pris « tout petit » pour l’accabler du poids de son érudition ; et, de Ronsard même ou de Malherbe, s’il n’y a pas de doute, assurément, que Ronsard soit le poète, c’est Malherbe qui est l’artiste. Aucun goût, aucune délicatesse d’oreille, aucune idée précise, ou seulement un peu claire, des ressources de la langue et du vers français, aucun souci vraiment artiste n’a guidé l’entreprise et les ambitions de la Pléiade. Elle n’a pas voulu, selon l’expression de Boileau, « parler grec et latin en français ; » ou du moins Boileau se trompe, en en faisant le reproche à Ronsard, dont la veine est de soi bien française ; mais elle a voulu faire passer en français toutes les richesses de la poésie grecque et latine, et, faute d’un peu de discernement, les pauvretés avec les richesses. Grœcum est, non legitur, disait-on avant elle ; Grœcum est, ergo pulchrum, est-elle venue dire ; et, manque d’une sensation un peu délicate et fine de l’une et l’autre langue, n’admirant pas moins Aratus qu’Homère,