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Je ne veux pas faire entendre par là qu’aux environs de 1820 cette révolution de la langue ne fût pas nécessaire. « Une règle capitale des anciens rhéteurs, dit à ce propos M. Pellissier, Buffon la formule expressément, était de nommer les choses par les termes les plus généraux. » C’est ce que M. Taine avait déjà noté quelque part, assez plaisamment, en faisant observer qu’au temps de l’abbé Delille ou de l’éloquent Thomas, si l’on avait osé nommer une hache de guerre un tomahawk, on se fût fait accuser de parler… iroquois. Les grammairiens du XVIIIe siècle, préoccupés avant tout des besoins de la propagande philosophique, avaient non-seulement appauvri le vocabulaire, mais encore énervé la syntaxe, en réduisant le langage à n’être plus que l’équation de la pensée pure. Il fallait qu’à Berlin et qu’à Saint-Pétersbourg on ne fût pas empêché, par ces idiotismes qui ne sont intelligibles qu’aux seuls nationaux, de comprendre à première vue Voltaire et Diderot. Aussi les mots n’étaient-ils pour eux que des signes, inexistans par eux-mêmes, conventionnels, artificiels, arbitraires, et la phrase, un « polynôme, » que tout l’art d’écrire se réduisait à « ordonner » conformément aux règles de l’algèbre. C’est le prix dont nous avions payé cette « universalité de la langue française, » tant célébrée par Rivarol dans un discours fameux, qui serait mieux intitulé : De l’universalité de l’Instrument logique. Si l’on voulait maintenant que la langue redevint capable d’imagination et de poésie, il y fallait donc d’abord réintégrer la liberté du tour, la personnalité de la construction syntactique, le droit enfin de conformer la période au mouvement de la pensée. Mais auparavant, et plus urgemment encore, il fallait rendre au vocabulaire ce que la timidité du goût lui avait enlevé de richesses, depuis une centaine d’années ; et il n’y en avait qu’un moyen effectif ; et c’était celui qu’indiquait Hugo. « Substituer l’image à l’abstraction, le mot propre à la périphrase, le pittoresque au descriptif, » ce fut son œuvre, comme le dit M. Pellissier ; et, pour le moment, puisqu’elle était nécessaire, il n’est pas question de savoir s’il a fait preuve, pendant un demi-siècle qu’il l’a obstinément poursuivie, d’autant de goût que de fécondité d’invention verbale et de génie. C’est assez que, depuis Rabelais et Saint-Simon, — dont on s’étonnera peut-être de voir les noms ainsi rapprochés du sien, — il n’y ait pas eu de plus prestigieux ni de pareil artisan de mots.

Si je vois bien ce que le Romantisme a fait pour le renouvellement de la langue, je vois moins nettement, et il est surtout plus difficile de dire avec précision, ce qu’il a fait pour le renouvellement de la versification. Comment, à ce propos, M. George Pellissier concilie-t-il lui-même ce qu’il dit des « combinaisons rythmiques, savantes, harmonieuses » dont le Romantisme aurait enrichi