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fâcheuse dont la critique a fait preuve envers Chateaubriand, pendant une trentaine d’années ; on conclura sans hésitation avec M. Pellissier, « qu’aussi longtemps que vivra la langue française, l’auteur des Martyrs et de René sera salué comme l’un des plus merveilleux ouvriers qui y aient mis la main ; » et, dans l’histoire des origines du Romantisme, c’est à lui qu’après l’auteur des Confessions et de la Nouvelle Héloïse, on pensera qu’on doit faire la principale part.

C’est une opinion très répandue de nos jours que la critique et l’histoire ne seraient qu’une perpétuelle matière de contradictions, de disputes, et d’incertitudes. Cette opinion n’est pas aussi fausse, elle est beaucoup plus fausse que l’opinion contraire. Entre personnes du métier, comme l’on dit, ou de la partie, qui n’ont pas attendu, pour faire de la « littérature, » que la politique leur ait procuré des loisirs, ou, pour s’intéresser à l’histoire, que nulle occupation plus pressante et plus lucrative ne les en détournât, on ne dispute, à vrai dire, et on ne se contredit sérieusement que sur quelques contemporains ; — sur Barbey d’Aurevilly, par exemple, ou sur le comte Villiers de l’Isle-Adam. Quelques apologistes trop éloquens de ces grands hommes ont en effet un intérêt personnel à entretenir soigneusement la légende du génie méconnu. Mais, en réalité, sur les autres, les morts, — ceux dont aucun vivant ne prétend à se réclamer, comme par exemple M. Vacquerie de Victor Hugo, ou à tirer vengeance, comme Sainte-Beuve de Chateaubriand, — l’accord se fait sans peine, et quelques opinions individuelles diversifient l’opinion générale, mais ne la divisent pas. Cela est vrai même des questions de personnes : on n’a jamais tenté, depuis cent cinquante ans qu’il est mort, de réhabiliter Campistron. Cela est vrai des questions de préséance : on n’a jamais douté, depuis cent ans, que Voltaire fût autant au-dessous de Racine dans la tragédie passionnée que de Corneille dans la tragédie politique. Cela est vrai des questions de doctrines ou de principes : et c’est se moquer du monde que de faire chatoyer aux yeux, en quelque sorte, les différens aspects d’une même définition du Romantisme pour conclure de là qu’il n’y en a pas ni ne saurait y en avoir de définition.

Liberté dans l’art ; — substitution du sens propre au sens commun, dans toutes les acceptions du mot ; — exaltation du sentiment du Moi ; — passage, pour parler comme les philosophes, de l’objectif au subjectif, ou, littérairement, du dramatique au lyrique et à l’élégiaque ; — cosmopolitisme, exotisme, sentiment nouveau de la nature ; — curiosité du passé, des vieilles pierres et des vieilles traditions ; — introduction dans la littérature des procédés ou des intentions de la peinture, voilà le Romantisme ; et, de ces