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sujet, dont il me semble seulement que celui qui voudrait l’approfondir un jour en trouverait une première ébauche dans le livre de M. George Brandes, et dans celui d’Hermann Hettner sur la Littérature européenne au XVIIIe siècle. Mais il faut du moins rendre cette justice à M. Pellissier que, s’il a cru devoir s’en tenir à parler de Mme de Staël et de Chateaubriand, il en a bien et heureusement parlé.

On voit avec plaisir une critique plus désintéressée, moins personnelle, moins rancunière surtout que celle de Sainte-Beuve, remettre aujourd’hui Chateaubriand et Mme de Staël en honneur, et les replacer l’un et l’autre à leur véritable rang. Après tout, Mme de Staël est la seule femme de France dont le talent soit vraiment viril, je veux dire qui ait pensé par elle-même ; dont un homme n’ait pas soufflé les idées ; qui eut pu, sans s’appauvrir, donner quelques-unes des siennes à l’auteur des Martyrs, par exemple ; et le turban de Corinne n’empêchera pas les deux livres de la Littérature et de l’Allemagne de compter toujours parmi les événemens considérables de notre histoire littéraire. Je renvoie pour le reste à la belle étude de M. Emile Faguet[1], dont nos lecteurs ont sans doute conservé la mémoire : littérairement, et d’accord avec M. Pellissier, voici comment je concevrais que l’on fit sa part à Mme de Staël dans « le mouvement du XIXe siècle. »

Héritière de ce que le XVIIIe siècle avait légué de meilleur au nôtre, admiratrice passionnée de Rousseau, les leçons de Mme Staël ne diffèrent pas beaucoup de celles du maître ; et, comme Rousseau, c’est en lui-même qu’elle veut que le poète, émancipé de l’ancienne contrainte, cherche presque uniquement l’inspiration de ses œuvres. Mais, en même temps, — ce qu’elle ne trouve pas chez les classiques dont elle écrit la langue, si malheureusement elle n’en a pas toujours le style, — cet accent de personnalité, ce « sentiment, » cette originalité d’imagination, les rencontrant dans les « littératures du Nord, » elle les célèbre avec un enthousiasme communicatif qui substitue, sans presque s’en apercevoir, de nouvelles règles et de nouveaux modèles aux anciens : Shakspeare d’abord, dans le livre de la Littérature, Goethe et Schiller plus tard, dans son Allemagne, aux Voltaire, aux Racine, aux Corneille. De telle sorte que ses conclusions, quasi contradictoires à son point de départ, sembleraient n’avoir servi qu’à faire passer les romantiques d’un joug sous un autre, et le drame futur, — le drame prochain de l’auteur de Chatterton ou de celui de Cromwell, — d’une pâle imitation de la tragédie du XVIIe siècle, à ce que je me permettrai d’appeler la caricature très appliquée du drame shakspearien. Nouvel exemple de cet

  1. Voyez la Revue du 15 septembre 1887.