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quoique plusieurs de ses Idylles aient paru dans les journaux du temps de la Révolution et de l’Empire, — où Millevoye, par exemple, a su les retrouver pour s’en inspirer, — cependant son influence ne saurait dater que de 1819 : c’est la date où parut la première édition, très incomplète encore, du recueil de ses Poésies. Mais, à cette date, le Génie du christianisme, les livres de l’Allemagne et de la Littérature avaient depuis longtemps paru ; les noms de Byron et de Goethe avaient franchi nos frontières ; et les Méditations allaient paraître. Ne tombons donc pas ici dans une erreur trop coutumière aux évolutionnistes ; mais, au contraire, profitons du grand avantage que nous avons sur eux, qui est de posséder une chronologie certaine, tandis qu’ils n’en ont qu’une conjecturale ; et ne transformons pas de simples analogies en des liens généalogiques. J’ajouterai que, les Idylles exceptées, dans quelque partie de son œuvre que je cherche André Chénier, — dans ses Épitres, dans ses Elégies, si sensuelles et presque érotiques, dans son Hermès enfin, — je ne trouve qu’un homme du XVIIIe siècle. C’est aussi bien l’avis de M. Pellissier ; c’est l’opinion, si je ne me trompe, de M. Anatole France ; c’est celle enfin où s’est rangé, dans la dernière et magnifique édition qu’il a donnée du poète dont son nom ne se séparera plus, M. Becq de Fouquières. J’irais plus loin qu’eux tous encore ; et, reconnaissant avec eux l’influence de l’auteur du Mendiant, de son vers plus souple et plus plastique, de son style retrempé d’ailleurs aux sources de l’hellénisme plutôt qu’à celles de la nature, sur Alfred de Vigny ou sur M. Leconte de Lisle, je ne vois ni quand ni comment on peut dire qu’elle aurait opéré sur Chateaubriand, sur Lamartine, sur Hugo, sur Musset.

M. Pellissier n’a-t-il pas également exagéré quelque peu l’influence de Diderot ? Si l’on retrouve en effet aujourd’hui chez nos Naturalistes quelque chose des idées de Diderot, — de son cynisme, que l’on prend trop souvent pour du naturel, et de sa grossièreté, qui n’est pas toujours de la franchise, — ne pourrait-on pas soutenir qu’il n’y a là que ce qu’on appelle un phénomène d’atavisme ? Tel reproduit en soi quelques traits de Diderot, qui ne l’a jamais lu : il est seulement de la même race, ou de la même famille d’esprits. Rappelons, d’ailleurs, que la Religieuse, que Jacques le Fataliste n’ont paru qu’en 1796 ; le Neveu de Rameau, — d’après une traduction de l’allemand, — qu’en 1823 ; les Salons, la Correspondance avec Mme Rolland, il n’y a pas un demi-siècle encore. Et pour l’influence que le Père de famille ou le Fils naturel, que les Entretiens et l’Essai sur la poésie dramatique auraient exercée sur la réformation du théâtre, il est bien difficile d’en faire procéder Marion Delorme ou Hernani, non plus qu’Henri III, ni Christine à Fontainebleau. Le seul honneur en ce genre qu’on puisse