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défilés aujourd’hui impraticables, envahirent la Bolivie et le Pérou, colonisé et civilisé au XVIIe et au XVIIIe par les Jésuites, retombant, après leur expulsion par l’Espagne, en 1767, dans un état de comparative barbarie, se relevant pour succomber cette fois sous les coups de ses voisins coalisés, le Paraguay, peu connu du reste de l’univers, a subi jusqu’en 1870 les plus terribles épreuves qu’un peuple puisse endurer. Il en sort, sinon triomphant, du moins libre encore, puisant des forces nouvelles dans sa volonté de vivre et sa résolution de durer. Le climat est sain, le sol est riche, et, sur ce sol dont l’admirable fertilité et la production spontanée sollicitent trop peu le travail de l’homme, croissent en abondance : le tabac, le maté, le maïs, le manioc, la canne à sucre, le café, le coton, le riz. Comme industries principales : la tannerie, les poteries, les dentelles du Paraguay, très recherchées dans l’Amérique du Sud pour leur délicatesse et l’originalité des dessins, la fabrication des ponchos, qui atteignent, en raison de leur finesse, des prix fabuleux ; comme exploitations, celles des marbres et des porphyres, du kaolin, de l’ocre et du salpêtre ; enfin la préparation des peaux de tigre, de lion, de loup marin, très estimées à Buenos-Ayres, où l’on en fait un important commerce d’exportation.

Sobre et résistant, de mœurs douces et de vie sociable, le Paraguayen a conservé intactes les traditions de noblesse et de courtoisie espagnoles. Son hospitalité est proverbiale ; proverbiales aussi la grâce et la beauté des femmes, qui ont gardé, purs de tout mélange, les traits caractéristiques de leur origine. On retrouve encore chez quelques-unes d’entre elles le type caucasien blond qui date de la conquête et trahit la descendance des émigrans belges, sujets de Charles-Quint et de Philippe II, entraînés par l’esprit d’aventure sur les traces des Cortez et des Pizarre.

Ascension, capitale de la république, jolie ville de 50,000 habitans, réduite par la guerre à 18,000, domine, du haut de ses collines, le cours majestueux du Paraguay, un horizon de jardins, de métairies, de bosquets d’orangers, de plaines sans fin aux larges ondulations que plaquent de taches sombres les hautes forêts, que limitent, au sud, le pic de Lamboré, à l’ouest les solitudes du Chaco.

Ici encore nous retrouvons la Victoria Regia, cette gigantesque nymphéacée qui s’épanouit sur les ruisseaux et les étangs, le cactus éclatant et les riches orchidées, le cédratier, le pistachier, le caroubier, mêlés à la faune de nos climats tempérés. En concentrant dans le Paraguay leurs efforts, en choisissant, entre toutes, cette région de magnifiques et silencieux bocages, les jésuites avaient pressenti, avec leur remarquable perspicacité, ce que pourrait devenir un jour, en des mains intelligentes, ce pays aussi