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indépendance, dont les plus jeunes comptent à peine un demi-siècle de vie nationale, chacun expose aux yeux de l’Europe étonnée un amoncellement de matières premières et de produits fabriqués dépassant toute attente, des richesses auprès desquelles pâlissent celles de la vieille Asie. Et, pour qui sait voir, ce qu’ils exposent n’est que peu de chose encore ; les promesses de l’avenir dépassent les réalités du présent, promesses réelles et certaines, représentées par les productions d’une agriculture en progrès, par les minerais extraits du sol, par les lingots d’or et d’argent, par les résultats acquis d’une industrie naissante, chaque année croissante.

À elle seule, l’exposition des États-Unis révèle tout un monde. Ils sont là 80 millions aujourd’hui, 100 millions à la fin de ce siècle, qui, en moins de quarante années, ont bouleversé les conditions économiques, modifié les lois financières de l’univers, jetant sur les marchés européens plus de 15 milliards d’or et d’argent, produisant annuellement pour plus de 6 milliards de céréales, exportant plus d’un milliard en coton, en voie de révolutionner le monde par la formidable impulsion donnée aux applications de la vapeur et de l’électricité, par leurs prodigieuses inventions. En tout sens ils élargissent le domaine de l’activité humaine, s’annexant les idées, mieux que d’autres les territoires, débordant de vie et de force, aspirant ouvertement au premier rang à la tête des nations civilisées.

Leurs succès justifient leurs prétentions. Tout les favorise et les seconde. Il semble qu’en prenant possession de ce vaste continent leur génie se soit haussé, dans ses conceptions hardies, aux proportions de son étendue, de la variété de son climat, de son sol et de ses productions. Chez eux et en eux tout est démesuré : les cataclysmes de la nature comme les fortunes soudaines, les guerres civiles comme la prospérité nationale, les aspirations comme les réalités, l’effort ainsi que le résultat. Seuls au monde, ils voient l’or affluer dans le trésor public au-delà de toutes prévisions, menacés de pléthore alors que l’Europe plie sous le poids des emprunts. Leur réseau de chemins de fer dépasse déjà de 15,000 kilomètres celui de l’Europe entière ; les 50 milliards que représente la valeur de leurs fermes rendent annuellement plus de 10 milliards, dont 2 1/2 pour l’exportation. Leurs 255,000 fabriques leur ont coûté 15 milliards ; elles occupent 3 millions d’ouvriers, dont le salaire atteint 5 milliards, et dont la production dépasse 25 milliards.

Chaque année ces chiffres croissent, ainsi que ceux de la population, ainsi que l’ardeur et les hautes visées de la race, qui n’aspire à rien moins, aujourd’hui, qu’à monopoliser le commerce de