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souffert et passé, humbles ou puissans, tous aujourd’hui également inconnus.

Lorsqu’à la fin du XVe siècle Christophe Colomb découvrait ou retrouvait ce merveilleux continent dont les richesses cataloguées et classées s’étalent sous nos yeux, lorsque plus tard Fernand Cortez et Pizarre, Almagro et Pinçon envahirent le Mexique et le Pérou, le Brésil et le Chili, ces rudes aventuriers, soldats du fortune et grands capitaines, avides d’or et de pouvoir, ivres d’orgueil patriotique et de fanatisme religieux, incarnaient en eux le sombre et tyrannique génie de leur race et de leur temps. Ils étaient bien les descendans de ces Ibères et de ces Visigoths, ennemis implacables de l’Arabe qui jamais ne les soumit, du païen qui jamais ne les convertit, contre lequel ils luttèrent sans relâche et qu’ils rejetèrent en Afrique, de ces Espagnols qui, un moment, faillirent être les maîtres du monde et l’eussent été, si la bravoure suffisait pour le conquérir et le génie politique pour le garder.

Certes, on eût été ébloui à moins que ne le furent ces faméliques héros quand leurs hardis coups de main leur livrèrent successivement des provinces plus grandes que des royaumes, des rançons à payer un empire. En vingt ans, ils eurent tout pris, du Mexique à la Patagonie : 15,000 milles de côtes ; dans l’Amérique du Sud : un continent de treize cents lieues en longueur, de mille en largeur. Sous leurs yeux, familiarisés avec la caillouteuse et dure terre d’Espagne, aux rivières rares et sèches, se déroulaient les riches et fertiles vallées de Mexico, de Quito, de Bogota, de la Paz, d’Ayacucho, de Potosi, des fleuves comme l’Orénoque, la Plata, les Amazones, la Magdalena, des forêts séculaires où le soleil et les pluies des tropiques faisaient croître et s’épanouir une flore incomparable, une faune vigoureuse entre toutes. Sur ce sol merveilleux, pour eux que de surprises ! passer en une journée des terres chaudes aux zones tempérées, rencontrer, ici, des climats où, de trois mois en trois mois, ailleurs de six mois en six mois, la sécheresse et la pluie alternent régulièrement, d’autres enfin où il ne pleut jamais et où le fracas du tonnerre est inconnu.

Puis, une population intense qui, se resserrant, les eût étouffés, et qui, frappée de terreur, s’inclinait devant le blanc ainsi que devant un Dieu, apportant à ses pieds, pour apaiser sa colère, l’or que le blanc aimait, les pierres précieuses qu’il convoitait, dépouillant ses temples, se dépouillant elle-même pour l’enrichir, lui livrant ses mines dont l’Espagne et le Portugal tiraient en trois siècles 28 milliards et demi de francs, sans compter ce que l’on avait pris à l’Indien : de quoi charger des galions et faire de l’indigente Espagne le pays le plus riche du monde. Après avoir accepté, le