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à ne pas discuter ni résoudre ici. Toujours est-il que les mots : faire vrai, commençaient à être, quand parut Bizet, et en grande partie par le fait de Wagner et de ses doctrines, le programme tracé et le problème posé à la musique contemporaine.

Ce souci du vrai, Bizet l’a connu. Il a cherché, lui aussi, la vérité, mais une vérité pour ainsi dire relative et raisonnable, la seule dont l’art puisse s’accommoder. Il n’a pas fait du vrai le tyran du beau ; il s’est gardé de pousser des principes féconds à des conséquences stériles.

Ce qu’on pourrait appeler le réalisme de Bizet se trahit d’abord par le choix de ses sujets. Après les Pêcheurs de perles, la Jolie fille de Perth et Djamileh, à l’heure des chefs-d’œuvre caractéristiques, quels drames met-il en musique ? L’Arlésienne et Carmen, deux histoires vraisemblables et vivantes, dont le premier paysan ou le premier soldat venu peut être le héros. Bizet ne cherche ni le lointain de la légende comme Wagner, ni celui de l’histoire comme Meyerbeer, ni comme Gounod l’appui de la poésie consacrée et classique. Il prend des personnages pareils à nous, des paysages voisins de nous. L’Arlésienne, Carmen, sujets ordinaires, dira-t-on ? Eh ! oui, leur beauté vient précisément de ce qu’ils sont ordinaires. C’est par là qu’ils nous émeuvent si fort. Homo sum et nihil… Cherchez dans la Tétralogie ou dans Parsifal une humanité aussi touchante. Pleure-t-on sur le dieu Wotan se séparant de sa fille Brunehild autant que sur Rose Mamaï voyant son enfant se jeter par la fenêtre ? Est-on pris aux entrailles par les souffrances mythiques et mystiques d’Amfortas comme par les tortures de José, ce pauvre amoureux que vous étiez peut-être hier, que nous serons peut-être demain ?

Qu’on n’aille pas au moins insinuer que nous plaçons Bizet au-dessus de Wagner. Nous faisons des rapprochemens et non des catégories, et tâchons de montrer seulement qu’en France au moins autant qu’ailleurs les vrais artistes ont le respect et le goût de la vérité.

Bizet ne fut pas seulement notre contemporain ; il fut aussi notre compatriote.

Il n’y a plus guère d’ultramontains en musique, mais il y a des ultrarhénans. Ils professent un serein mépris pour notre patrie et ne parlent qu’avec un sourire de notre musique nationale. Peut-être pourrait-on rabattre un peu de leurs dédains. Rousseau, l’un des premiers, a décrié la musique française ; mais Rousseau ne savait pas toujours ce qu’il disait, même en musique, et puis l’on n’ignore pas qu’il battait volontiers ses nourrices. D’ailleurs, depuis le Devin de village, nous avons fait des progrès. Les pharisiens et les docteurs affectent de nous renvoyer toujours à Auber (qui