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se décida à faire les premiers pas. Maimon lui répondit sans ambages qu’en amour la science ne remplaçait pas la jeunesse. Elle soutint que si, par une argumentation dans toutes les règles, les argumens a priori d’abord, puis ceux a posteriori, qu’elle appuya d’exemples tirés des auteurs, « et en particulier des romans français. « Il lui rit au nez, et leur liaison se termina par une correspondance qui est probablement unique en son genre. Bélise n’aurait pas trouvé mieux que la lettre suivante :

« Monsieur, je me suis étrangement trompée sur votre compte. Je vous prenais pour un homme de pensées nobles et de sentimens élevés, mais je vois à présent que vous êtes un vrai épicurien. Vous ne cherchez que le plaisir. Une femme ne peut vous plaire que par sa beauté. Une Mme Dacier, par exemple, qui a étudié à fond tous les auteurs grecs et latins et qui les a enrichis d’annotations savantes, ne serait pas capable de vous plaire. Pourquoi ? Parce qu’elle n’est pas jolie. Vous, monsieur, qui êtes à d’autres égards si éclairé, vous devriez avoir honte de chérir des principes aussi pernicieux ; et si vous ne vous repentez pas, tremblez devant la vengeance de l’amour outragé. »

Maimon répondit à cette incomparable fleur de pédanterie par de lourdes remarques sur les différens sens d’épicurien. — « J’ai tout le respect du monde, disait-il ensuite, pour la science de Mme Dacier : elle avait en tout cas la ressource de tomber amoureuse des héros grecs qui assistèrent au siège de Troie et de compter en retour sur l’amour de leurs mânes, qui ne cessaient de voltiger autour d’elle ; mais c’est tout. Quant au reste, madame, en ce qui touche votre vengeance, je ne la crains point, car le Temps, qui détruit tout, a émoussé vos armes, c’est-à-dire vos dents et vos ongles. » C’est la lettre d’un manant et d’un cuistre ; mais, au fond, Maimon avait raison.

Maimon eut peu après une seconde alerte féminine, autrement vive. Il se trouvait à Breslau, dans une misère noire ; tout à coup, il aperçoit sa femme Sarah et David, leur premier-né, qu’il avait bien espéré ne jamais revoir ni l’un ni l’autre. Sarah l’abandonnée, lasse de son veuvage, était partie de Lilhuanie à la recherche de son époux. « Cette femme, dit Maimon, avait un courage d’amazone. » Elle l’avait découvert, je ne sais par quel miracle, et elle venait le sommer de retourner avec elle au cabaret Rissia ou de divorcer, le tout sans délai. L’embarras de Maimon ne saurait se dépeindre. Il ne jugeait pas à propos de divorcer, pour des raisons à lui connues. D’un autre côté, il ne voulait à aucun prix retourner en Pologne. La vue des siens redoublait son aversion pour cette pensée. Sarah avait positivement de très vilaines manières. David était un jeune barbare. Maimon songeait, en les considérant, qu’ils étaient