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vivre, étant infiniment plus riche que lui. Il perdit sa cause, en appela, et la plus haute cour de l’état rendit le jugement que nous avons indiqué.

D’une enquête faite, il résulte qu’il y a, à New-York, à l’heure actuelle, nombre de femmes qui reçoivent une pension alimentaire, non pas d’un seul, mais de deux et même de trois époux, dont elles ont été successivement divorcées, et cela, alors qu’elles vivent avec le troisième ou le quatrième. Si l’un des infortunés ex-conjoints ne s’acquitte pas ponctuellement à échéance, un simple avis transmis à la cour suffit. Le délinquant, appréhendé au corps pour contempt of court, mépris des décisions judiciaires, est incarcéré ; les frais d’arrestation et de détention incombent à sa charge, et ils sont tels que l’on ne s’expose pas deux fois à de pareils risques. On raconte encore à New-York l’aventure de Léonard Grover, auteur dramatique. Condamné à la requête de sa femme pour contempt of court et incarcéré dans la prison de Ludlow Street, Grover, hors d’état de payer la pension alimentaire, se résigna à rester en prison aussi longtemps qu’il plairait à son ex-épouse de l’y détenir. Pour charmer ses loisirs, il se mit au travail, confectionna quelques drames qui eurent grand succès et, remis en fonds, négocia, de sa prison, avec Mrs Grover, sa mise en liberté et l’abandon de la pension alimentaire moyennant une somme une fois versée. Partout, dans les mœurs et dans les lois, nous retrouvons, aux États-Unis, cette sollicitude anxieuse, souvent excessive, à l’égard de la femme. Là où, dans notre scepticisme européen, nous ne verrions qu’une intrigue vulgaire et une tentative de chantage, nous avons peine à comprendre des décisions, qui, dans le Nouveau-Monde, n’étonnent personne. Il nous répugne d’admettre qu’une femme mariée puisse venir, en pleine cour, déposer contre elle-même, produire les lettres de son complice, le tout pour appuyer une demande d’indemnité réclamée par le mari contre l’amant et fondée sur ce fait que le défendeur a détourné à son profit l’affection qu’elle ne devait qu’à son époux légitime, aliénation of her affection.

Mrs Catherine Siefts avait quarante ans quand elle connut Frédéric Gortze. Ex-alderman d’Hoboken, propriétaire d’une usine importante, veuf et fort riche, Frédéric Gortze portait allègrement ses soixante-quatre printemps, et, à première vue, s’éprit de Mrs Siefts. belle et plantureuse personne qui tenait à Nyak une maison meublée avec pension bourgeoise. Elle était mariée, mais n’en lit pas moins fort engageant accueil à l’opulent manufacturier, qui, séduit, disait-il, par les charmes de Nyak, venait fréquemment y passer un jour ou deux et trouvait chez Mrs Siefts le calme dont il avait besoin pour se remettre du souci des affaires. Au début, il y amena ses