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irritée, irréconciliable, malheureusement stérile. Ce qu’ils ont gagné de plus clair a été de rendre tout impossible, de s’asservir eux-mêmes aux radicaux, dont ils ne pouvaient plus se passer, de créer enfin cette anarchie parlementaire où ils se sont agités et épuisés jusqu’au bout dans l’impuissance.

Ont-ils du moins réussi, avec leur politique de parti et de combat, à arrêter ou à détourner le mouvement qui les menaçait ? Ils n’ont su ni l’arrêter ni le désarmer. Le mouvement n’a cessé de se développer ou de se maintenir dans la plupart des élections partielles qui se sont succédé et le jour où le grand scrutin s’est rouvert récemment, les conservateurs se retrouvent à peu près avec les mêmes forces, perdant quelques sièges, en gagnant beaucoup d’autres, ayant, eux aussi, leurs hommes nouveaux. Il y a mieux encore. Sans doute c’est le résultat matériel qui décide, qui fait les majorités et les minorités ; le scrutin a le dernier mot. Moralement le scrutin peut avoir une autre valeur : il révèle la force des opinions en présence, et ce qu’il y a justement de caractéristique, c’est que presque partout, là même où les conservateurs ne réussissent pas, ils suivent de près l’élu républicain. C’est toujours 7,000 voix contre 8,000, 9,000 contre 10,000, etc. Il n’y a que quelques centaines de voix, quelquefois moins, de différence. Il en est de même, remarquera-t-on, des républicains battus par les conservateurs. C’est possible ; cela signifie tout simplement que le pays reste plus que jamais partagé en deux camps. Eh bien, les républicains vont-ils recommencer en 1889 ce qu’ils ont fait en 1885 et reprendre leur politique d’exclusion, de guerre, de désorganisation ? C’est toute la question au lendemain de ce scrutin du 22 septembre, début d’une nouvelle étape.

La majorité, telle qu’elle est, un peu chèrement achetée si l’on veut, reste à la république et aux républicains, soit ; que feront maintenant les républicains de leur majorité dans l’intérêt même de la république ? Comment vont-ils se conduire ? Ils ont leur choix à faire. S’ils n’ont pas d’autre ressource que de continuer ce qui a si bien réussi, leur histoire est écrite d’avance. Ils sont condamnés à s’agiter en agitant le pays sans le ramener. Ils reprendront leur ménage avec les radicaux. Toutes les fois qu’ils auront à faire ensemble œuvre de parti, ils se retrouveront unis ; le lendemain ils seront divisés dans toutes les questions d’intérêt public, de gouvernement, de stabilité constitutionnelle, d’administration, de paix morale, de finances. C’est fatalement, sous le nom d’une concentration chimérique, une guerre intermittente, accompagnée d’incohérences parlementaires, de crises ministérielles, dont le résultat inévitable est encore une fois l’impuissance, — l’impuissance devant la menace momentanément conjurée de la dictature. Avec le radicalisme on ne fera rien, parce qu’on ne peut rien, si ce n’est s’agiter et agiter. Il ne peut donc rester pour les républicains sérieux et