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durant une halte de notre promenade, dans les quelques pages que je puis consacrer à ce compte-rendu. Il y a encore d’autres raisons. En pareille matière, le papier devient vite criminel. Quand on croit que tout va pour le mieux, dans le plus juste des mondes, on fait très bien de le dire, cela facilite la digestion de ceux qui dînent paisiblement. Quand on croit le contraire, il faut se garder, avec une sainte terreur, de tout ce qui ressemble à la déclamation ; c’est un sujet où nul n’est certain de résister à l’entraînement des mots, qui tremblent dans le fond du cœur, demandant à sortir. Il faut même se garer des idées séduisantes, dont on ne voit peut-être qu’un seul côté ; elles peuvent faire tant de mal à ceux dont elles se proposent le bien ! Quand elles nous tentent, rappelons-nous l’un des épisodes les plus cruels du Don Quichotte. Au début de ses aventures, le justicier rencontre un laboureur qui payait les gages de son jeune valet en coups de bâton ; il prend leu, arrête l’exécution, menace le rustre et lui fait promettre d’indemniser sa victime, sous peine d’un châtiment exemplaire ; puis il s’éloigne, tout réjoui par la pensée qu’il a redressé « un énorme tort. » Il n’est pas sorti du bois que le laboureur reprend le bâton, et se venge du fâcheux en redoublant les coups sur le garçonnet ; celui-ci pleure et se lamente, tandis que le noble fou continue de chevaucher, en remerciant le ciel de l’avoir choisi pour faire un si grand bien. « Et c’est ainsi, conclut l’impitoyable écrivain, que le tort fut redressé par le valeureux don Quichotte. » La phrase de Cervantes pourrait servir d’épigraphe à tous ceux qui préconisent des panacées pour le mal social, avant de les avoir soumises à l’épreuve de la pratique. — Il n’y a rien de pareil dans la section économique de l’Exposition ; elle ne propose à notre attention que de modestes règles d’hygiène, destinées à prévenir ce mal dans une certaine mesure ; elle nous montre leurs effets dans les diagrammes qui couvrent ses murs. Je me bornerai à lus signaler ; si nous découvrons, après examen, qu’une seule de ces recettes est vraiment efficace, incontestable, susceptible de développemens qui dépassent les limites d’une expérience individuelle, nous n’aurons perdu ni notre visite, ni notre journée.

Au point de vue historique, la simple inspection des dates qui se succèdent sur les tableaux est pleine d’enseignemens ; ces dates nous font connaître comment le devoir social a pris conscience de lui-même, et quelles influences ont déterminé ses efforts, pendant trois périodes assez distinctes. Les plus vieilles institutions de patronage ou d’assistance mutuelle commencent de fonctionner aux environs de 1840 ; on en rencontre fort peu d’antérieures ; elles se multiplient à partir de ce moment. C’est le contre-coup du mouvement saint-simonien, dont on ne dira