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tribunaux de l’autorité morale que lui avait donnée sa vertu. Il en profita pour porter définitivement en justice ses réclamations contre les héritiers de la marquise de Pompadour. Le citoyen Mony plaida la cause une première fois au tribunal du VIe arrondissement le 16 juillet 1793 ; le 11 septembre, la cause retint devant les magistrats ; les citoyens Chaumette, Laurent et Legrand avaient été désignés par la commune de Paris comme défenseurs officieux, et toute la commune vint assister à l’audience. Latude obtint 60.000 livres, dont 10,000 lui furent payées en espèces.

A partir de ce moment, sa vie devint plus calme. Mme Legros continuait à l’entourer de ses soins. Les 50,000 livres qui lui restaient dues par les héritiers de la marquise lui furent payées en bonnes métairies sises en Beauce, dont il touchait les revenus. Hâtons-nous de dire que la France ne trouva pas en Latude un enfant ingrat. La situation critique dans laquelle le pays se débattait le peinait profondément. Il cherchait les moyens d’y porter remède, et fit paraître en 1799 un « Projet d’évaluation des quatre-vingts départemens de la France pour sauver la république en moins de trois mois ; » ainsi qu’un « Mémoire sur les moyens de rétablir le crédit public et l’ordre dans les finances de la France. »

Lorsque les biens ayant appartenu à la marquise de Pompadour fuirent séquestrés, les métairies données à Latude lui furent enlevées ; mais il se les fit restituer par le Directoire. Il fut moins heureux dans une demande de concession de théâtre et de maison de jeu. Il s’en consola. Les secours qu’il ne cessait d’extorquer de droite et de gauche le revenu de ses métairies, la vente de ses livres, et l’argent que lui rapportait l’exhibition de son échelle, promenée par un imprésario dans les différentes villes de France et d’Angleterre, lui procuraient une douce aisance.

La Revolution passa. Latude salua Bonaparte à son aurore, et quand Bonaparte devint Napoléon, Latude s’inclina devant l’empereur. Nous avons une lettre bien curieuse dans laquelle il trace à Napoléon Ier les lignes de conduite qu’il devra suivre pour son bien et celui de la France. Elle commence par ces mots :

« Sire,

« J’ay été enterré cinq fois tout vivant, et je connais le malheur. Pour avoir un cœur plus compatissant que le général des hommes, il faut avoir souffert de grands maux… J’ay eu la douce satisfaction du temps de la Terreur d’avoir sauvé la vie à vingt-deux malheureux… Solliciter Fouquet d’Etinville pour des royalistes, c’était le persuader que j’en étais un moi-même, que si j’ay bravé la mort