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de ce livre, la même année, deux éditions différentes. En 1789, Latude publia le récit de son évasion de la Bastille, ainsi que son Grand Mémoire à la marquise de Pompadour ; enfin, en 1790, parut le Despotisme dévoilé, ou Mémoires de Henri Masers de Latude, rédigé par l’avocat Thiery. Le livre est dédié à La Fayette. On voit, en première page, le portrait du héros, la figure fière et énergique, une main sur l’échelle de corde, l’autre étendue vers la Bastille, que des ouvriers sont occupés à démolir. « Je jure, dit l’auteur en commençant, que je ne rapporterai pas un fait qui ne soit une vérité. » Tout l’ouvrage n’est qu’un tissu de calomnies et de mensonges ; et, ce qui affecte de la manière la plus pénible, c’est de voir cet homme renier sa mère, oublier les privations dont elle s’est entourée par amour pour son fils, et faire honneur du peu que la pauvre fille a pu faire pour son enfant à un marquis de La Tude, chevalier de Saint-Louis, lieutenant-colonel au régiment d’Orléans-dragons !

Mais le livre vibrait de cet accent de sincérité et d’émotion profonde que Latude savait communiquer à tous ceux qui l’approchaient. Le succès fut prodigieux. En 1793, vingt éditions étaient épuisées, l’ouvrage était traduit en plusieurs langues ; les journaux n’avaient pas assez d’éloges pour l’audace et le génie de l’auteur, le Mercure de France proclamait que désormais le devoir des parens était d’apprendre à lire à leurs enfans dans cette œuvre sublime ; un exemplaire en était envoyé à tous les départemens, accompagné d’une réduction de la Bastille par l’architecte Palloy, et c’est avec raison que Latude pouvait s’écrier dans l’assemblée nationale : « Je n’ai pas peu contribué à la révolution et à l’affermir. »

Latude n’était pas homme à négliger des circonstances aussi favorables. Il chercha tout d’abord à faire augmenter sa pension et présenta à la constituante une pétition qui fut appuyée par le représentant Bouche. Mais Camus, « l’âpre Camus, » président de la commission chargée d’examiner l’affaire, conclut au rejet ; et, dans la séance du 13 mars 1791, le député Voidel prononça un discours très vif : selon lui. la nation avait à soulager des malheureux plus dignes d’intérêt qu’un homme dont la vie avait commencé par une escroquerie et une lâcheté. L’assemblée se rangea à cet avis : non-seulement la pension de Latude ne fut pas augmentée, mais la délibération de la constituante lui fit supprimer la pension que lui avait accordée Louis XVI.

Horreur et infamie ! « Quelle démence s’est emparée de l’esprit des représentans de la plus généreuse nation de l’univers ! ..