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— Votre malle est là-haut, dans votre chambre, il ne dépend que de moi d’en faire sauter les cachets que vous y avez mis et de prendre vos papiers.

« Je répliquai : — Monsieur, il y a des formalités de justice auxquelles vous devez vous conformer, et il ne vous est point permis de faire de pareilles violences.

« Il sort cinq ou six pas hors du cachot, et comme je ne le rappelais pas, il rentre en me disant : — Remettez-les-moi tant seulement pour dix jours pour les examiner, et je vous donne ma parole d’honneur qu’au bout de ce temps je vous les ferai rapporter dans votre chambre.

« Je lui répliquai : — Je ne vous les livrerai pas tant seulement pour deux heures.

— Hé bien ! me dit-il, puisque vous ne voulez point me les confier, vous n’avez qu’à rester ici. »

Latude n’était pas, comme on le voit, d’humeur accommodante. Il raconte dans ses mémoires, avec grande indignation, l’histoire d’une flûte qu’il s’était faite, dont il jouait, c’était sa seule distraction dans les longues heures de solitude ; ses geôliers eurent la barbarie de la lui enlever. Le gouverneur du donjon, par compassion, offrit de la lui rendre. « Mais ce ne sera qu’à la condition que vous n’en jouerez point, la nuit, et rien que le jour. » A cet article, écrit Latude dans ses Rêveries, je ne pus éviter de le tourner en ridicule, en lui disant : « Mais y pensez-vous, monsieur ? il suffit que ça me soit défendu pour m’en donner envie. »

Aussi à Vincennes, comme à Paris, en vint-on à considérer Danry comme un fou. Parmi les livres qu’on lui donnait pour le distraire, il s’en trouva quelques-uns traitant de sorcellerie. Il les lut et relut, et ne vit plus dès lors, dans sa vie, que la perpétuelle intervention des démons évoqués par la magicienne de Pompadour et son frère le magicien, marquis de Marigny.

Sartines revint voir le prisonnier le 8 novembre 1772. Danry le pria de lui envoyer un exempt pour prendre copie d’un mémoire qu’il avait composé pour sa justification ; de lui envoyer également un avocat pour l’aider de ses conseils et un médecin pour examiner l’état de sa santé.

L’exempt arriva le 24. Le 29, il écrivit au lieutenant de police : « J’ai l’honneur de vous rendre compte qu’en conséquence de vos ordres je me suis rendu au château de Vincennes, le 24 courant, pour entendre ce que Danry prétend intéresser le ministre, et il n’est possible d’entendre chose qui l’intéresse si peu. Il a débuté par me dire qu’il fallait, pour que j’écrive tout ce qu’il avait à me dire, que je reste trois semaines avec lui. Il doit me faire l’histoire