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dans sa prison pour le bien du royaume. Il s’agit de faire porter des fusils aux sergens et aux officiers, les jours de bataille, en place de spontons et de hallebardes, on renforcera ainsi les armées françaises de vingt-cinq mille bons fusiliers. Il s’agit encore d’augmenter le port des lettres, ce qui accroîtra les ressources du trésor de plusieurs millions chaque année. Il conseille de créer dans les principales villes des greniers d’abondance, et dessine des plans de bataille qui donnent à une colonne de trois hommes de profondeur une force inconnue. Nous en passons et des meilleurs. Ces idées sont délayées dans un déluge de mots, une abondance de phrases inimaginables, accompagnées de comparaisons tirées de l’histoire de tous les temps et de tous les pays. Les manuscrits sont illustrés de dessins à la plume. Danry les copie et recopie sans cesse, les envoie à tout le monde, sous toutes les formes, persuade aux sentinelles que ces hautes conceptions intéressent le salut de l’État et lui procureront une fortune immense. Il détermine ainsi ces braves gens, qui compromettent leur position, à les porter secrètement à, des généraux, à des ministres, aux membres du parlement, aux maréchaux de France, il les jette par les fenêtres de sa chambre et du haut des tours enveloppés dans des boules de neige. Ces mémoires sont l’œuvre d’un homme dont l’esprit ouvert et actif, d’une activité incroyable, projette, construit, invente, sans cesse ni repos.

Dans ces liasses de papiers nous avons trouvé une lettre bien touchante, elle est de la mère du prisonnier, Jeanneton Aubrespy, qui écrivait à son fils de Montagnac, le 14 juin 1749 :

« Ne me faites pas l’injustice de croire que je vous ai oublié, mon cher fils, mon tendre fils. Seriés-vous exclu de ma pensée, vous que je porte dans mon cœur ? J’ay toujours eu un grand désir de vous revoir, mais aujourd’hui j’en ai encore plus d’envie, je suis sans cesse occupée de vous, je ne pense qu’à vous, je suis toute remplie de vous ne vous chagrinés pas, mon cher fils, c’est la seule grâce que je vous demande. Vos malheurs auront une fin et peut-être qu’elle n’est pas éloignée. J’espère que Mme de Pompadour vous fera grâce, j’intéresse pour cela le ciel et la terre. Le Seigneur veut encore éprouver ma soumission et la vôtre pour mieux faire sentir le prix de ses faveurs. Ne vous inquiétés pas, mon fils, j’espère d’avoir le bonheur de vous revoir et de vous embrasser plus tendrement que jamais. Adieu, mon fils, mon cher fils, mon tendre fils, je vous aime et je vous aimerai tendrement jusqu’au tombeau. Je vous recommande de me donner des nouvelles de votre santé. Je suis et serai toujours votre bonne mère,

« DAUBRESPI, veuve. »