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de rendre son cas extrêmement grave. Au XVIIIe siècle, l’évasion d’une prison d’état pouvait être punie de mort. Les Anglais, grands apôtres de l’humanité, n’étaient pas plus indulgens que nous ; et l’on connaît le traitement infligé par Frédéric II au baron de Trenck. Celui-ci ne devait rester en prison qu’une année. Après sa seconde tentative d’évasion, il fut enchaîné dans une casemate obscure ; à ses pieds était la tombe où il devait être enterré, on y avait gravé son nom et une tête de mort.

Lo gouvernement de Louis XV ne punissait pas avec autant de rigueur. L’évadé était simplement mis au cachot pour quelque temps. Les cachots de la Bastille étaient des basses-fosses froides et humides. Danry nous a laissé dans ses mémoires une relation des quarante mois passés en ce triste lieu, qui fait dresser les cheveux sur la tête. Malheureusement, son récit est plein d’exagérations. Il dit qu’il passa ces trois années les fers aux pieds et aux mains : dès le mois de novembre 1756, Berryer lui offrit de lui faire ôter les fers des pieds ou des mains, à son choix, et nous voyons par une apostille du major Chevalier qu’on lui enleva les fers des pieds. Danry ajoute qu’il coucha tout l’hiver sur la paille, sans couverture ; il avait si bien des couvertures qu’il écrit à Berryer pour demander qu’on lui en donne d’autres. A l’en croire, lors des crues de la Seine l’eau lui serait montée jusqu’à la taille : dès que l’eau menaça d’envahir le cachot, on en fit sortir le prisonnier. Il dit encore qu’il passa ces quarante mois dans une obscurité complète : la lumière de la prison n’était certainement pas très vive, mais elle était suffisante pour permettre à Danry de lire et d’écrire, et nous apprenons par les lettres que celui-ci adressait au lieutenant de police qu’il voyait de son cachot tout en qui se passait dans la cour de la Bastille. Enfin, il nous parle d’un certain nombre d’infirmités qu’il aurait contractées à cette époque, et cite à ce propos le rapport d’un oculiste qui vint lui donner ses soins. Mais, ce rapport, Danry l’a inventé lui-même, et le reste à l’avenant.

Pour la nourriture, Danry se montrait très difficile. Nous en jugeons par les rapports de Chevalier. « Danry est de fort mauvaise humeur, il nous envoie chercher à huit heures du soir pour nous dire que nous envoyions son porte-clés à la halle pour lui acheter du poisson, disant qu’il ne mange point d’œufs, d’artichauts, ni d’épinards, et qu’il veut manger du poisson absolument, et comme on ne le veut pas, il se met dans des fureurs extrêmes. » Voilà pour les jours maigres, voici pour les jours gras. « Danry a juré comme un diable, c’est-à-dire à son ordinaire, et après la cérémonie faite, il m’a dit : « Monsieur le major, au moins quand on me donne de