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profond de mon cœur que votre croyance fût véritable, en ce qu’il me serait bien plus avantageux de jeter ma faute sur un autre, soit pour m’avoir induit à commettre mon péché, ou ne m’avoir pas empêché de le commettre. »

Dans la pensée des ministres, Danry avait été l’agent d’un complot contre la vie de la marquise de Pompadour dirigé par quelque grand personnage ; au dernier moment il aurait pris peur, ou bien dans l’espoir de tirer profit des deux côtés à la fois il serait venu à Versailles se dénoncer lui-même. Il faut tenir grand compte de ces faits pour comprendre la vraie cause de sa détention. Danry fut donc maintenu à la Bastille. Il subit des interrogatoires dont les procès-verbaux furent rédigés régulièrement et signés par le lieutenant de police. Celui-ci, sous l’ancien régime, était un véritable magistrat, les documens de l’époque ne le désignent pas autrement, il rendait des arrêts et punissait au nom de la coutume qui, à cette époque, comme aujourd’hui encore en Angleterre, faisait loi.

L’apothicaire Binguet avait été remis en liberté immédiatement après la déclaration faite par Danry le 14 juin. A la Bastille celui-ci était entouré de toute sorte d’égards. Les ordres de Berryer sur ce sujet étaient formels. On lui avait donné livres, pipe et tabac ; on lui permettait, faveur singulière, de jouer de la flûte ; et, comme il exprimait son ennui de vivre seul, on lui donnait deux compagnons de chambre. Il recevait chaque jour la visite des officiers du château, et le 25 mai, le lieutenant de roi vint lui répéter les ordres du magistrat : « on aurait en conséquence bien soin de lui ; s’il avait besoin de quelque chose, on le priait de le dire, on ne le laisserait manquer de rien. » Le lieutenant de police espérait sans doute, à force de bontés, le déterminer à dévoiler les auteurs du malheureux complot qu’il avait imaginé lui-même.

Danry ne demeura pas longtemps dans la prison du faubourg Saint-Antoine ; dès le 28 juillet, Saint-Marc le transféra à Vincennes, et nous voyons par le rapport que l’exempt rédigea combien le marquis Du Châtelet, gouverneur du donjon, s’étonna « que la cour se fût déterminée de lui envoyer un pareil sujet. » C’est que Vincennes était, comme la Bastille, réservé aux prisonniers de bonne société : notre compagnon y fut mis par faveur. Le chirurgien qui a soin de lui le lui répète pour le consoler. « On ne met dans le donjon de Vincennes que des personnes nobles et de la première distinction. » Danry est, en effet, traité comme un gentilhomme. La meilleure chambre lui est réservée, il peut jouir du parc, où il se promène chaque jour deux heures. Lors de son entrée à la Bastille, il souffrait d’une infirmité, dont il attribua plus tard la cause à sa longue détention. A Vincennes il s’en plaignit, il prétendit