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Ce qu’elle lui dicte, il l’écrit, sans que « le méprisable artiste, » comme il se désigne, songe un instant à faire intervenir dans son œuvre son moi intellectuel ou moral. Le paysage revit sous son pinceau docile sans qu’aucun de ses détails lui serve à rendre autre chose que ce qu’il voit, sans que l’idée lui vienne d’imprimer à l’ensemble une note individuelle, reflet de son état d’âme. Ainsi que lui, son originalité demeure impersonnelle ; elle est dans son amour ardent de la nature qui charme ses yeux, à laquelle il rend caresse pour caresse. Comme le Chinois, mais amoureusement et non brutalement, il la façonne, l’assouplit ; par la culture savante il la ramène à sa taille, à son niveau. Dans l’enceinte de bambous qui entoure, sur les pentes du Trocadéro, l’exposition d’horticulture japonaise, regardez ces jardins minuscules dessinés dans une île artificielle, ces ponts d’un seul tronc jetés sur un mince filet d’eau, ces cèdres et ces sapins séculaires de 0m,50 de hauteur, rochers moussus, grottes ombreuses, kiosques, arbres de pygmées surgissant d’une potiche vert pâle, donnant l’illusion d’arbres géans, nature bizarre et contournée, docile à la main de l’homme qui comprime son effort et se fait un jouet d’enfant des forces qu’elle met en œuvre, enfermant une forêt dans quelques pieds carrés, mais lui conservant et se donnant à lui-même l’illusion d’une exubérante végétation. Dans ces cadres de bois vermoulu auxquels il donne les formes les plus fantaisistes, les fougères s’enlacent, ouvrant leurs feuilles délicates, dessinant, autour du bois humide où elles puisent leur sève, les plus charmantes arabesques.

Dans la section japonaise, au Champ de Mars, vous retrouverez cette faune et cette flore miniature sur les hautes potiches de porcelaine, sur ces vases aux teintes perlées, à fonds laiteux semés de poussière d’or d’où se détache dans un étonnant fouillis de fleurs la face torse des singes grimaçans. Vous les retrouverez sur ces laques d’un noir profond et velouté. L’une d’elles étale aux yeux éblouis toute une forêt d’or ; entre les troncs et les feuilles dorés, des lianes d’or s’épanouissent en fleurs aux nuances exquises ; elles jaillissent en relief adouci sur la laque polie, s’y reflétant comme dans un miroir. Plus loin, sur les hauts panneaux de laque formant écran, des cavaliers chevauchent des buffles impatiens, ramassés sur eux-mêmes ; les membres vigoureux, les muscles tendus se dessinent en saillies puissantes.

Ici tout est symbolique : ces monstrueux yémas, ces tortues et ces grues, emblèmes de longévité, ces foôs, oiseaux mythologiques personnifiant le bonheur éternel, ces fleurs empruntées au poétique almanach féminin et représentant chacune un jour de l’année. Sur les riches étoffes brodées d’or, d’argent et de soie,