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nu-pieds, silencieux comme des fantômes, comme eux vêtus de blanc, les serviteurs hindous passent et repassent. Sous les arcades cintrées, boîtes et coffrets ouvragés, éventails et porte-cartes en bois de santal, sachets de santal, imprègnent l’air de leurs parfums poivrés. Statuettes indiennes, coupes et vases d’argent ciselé, casques de bronze damasquinés d’argent, plats et aiguières de Bénarès, en cuivre repoussé, éparpillent leurs notes blanches, rouges et jaunes. Les meubles en bois noir de Bombay et en bois de teck ; fouillés, sculptés, rappellent l’art chinois ; les riches tapis de Peschwar caressent le regard. Ici les fins coquillages de Madras étalent leurs changeans reflets d’opale, les cuivres de Cachemire leurs teintes rougeâtres, et, dans les devantures, les parures en pierres de Lune évoquent le souvenir d’une Inde ruisselante de diamans, du maharaja de Mysore, du mélancolique et beau Wadyar Bahadour, surchargé de pierreries, idole immobile et muette sur son trône qu’entoure un peuple prosterné.

Les punkahs de Kuss-Kuss secouent dans l’air ces parfums subtils auxquels les Indiens attribuent de mystérieuses influences : leurs paillettes d’or et de soie miroitent, et les aériens tissus de soie des jungles de Tussor, si légers que la main les sent à peine, parlent de journées brûlantes sous un ciel blanc semé de poussière d’or, de longues soirées sur les vérandas embaumées, de nuits étoilées, de contemplation et de repos.

Autour des bras et des chevilles de quelles nautchics, aux seins voilés d’or et de soie transparente, aux larges plis flottans, aux hanches nues, devaient s’enrouler ces bracelets de pierreries, ces topazes de l’Himalaya, ces émeraudes du Malabar, ces saphirs et ces rubis de Ceylan, ces turquoises de Nichàpour, ces cercles d’argent ciselé bruissant aux mouvemens de leurs danses énigmatiques, de leurs poses voluptueuses et extatiques ? Devant quel puissant nizam entouré de statues vivantes, dorées ou argentées, laquées de bleu, de vert ou de rouge, personnifiant les divinités de la mythologie indienne, devaient se dérouler leurs théories onduleuses parées de soies d’un grand prix ?

De Bénarès ; la ville sainte, étagée aux rives du Gange, sont venues ces étoiles brodées qui entourent, sans les cacher, les tailles sveltes et les hanches souples ; ces idoles bouffies et somnolentes ; ces statuettes de fakirs aux cheveux hérissés, aux membres décharnés, immobiles et accroupis sous un ciel de feu, entourés d’un cercle- de charbons ardens d’où, pendant quarante jours, ils ne sortiront pas. De Bénarès, aux quatorze cents temples, ces statuettes de jeunes filles vêtues de rose et de blanc, le iront ceint d’un voile dont les bouts dénoués flottent au vent, de femmes